mardi 20 octobre 2015

Brettanomyces: Le processus d'acceptation

Oui je sais, retour encore une fois sur ce sujet. Je ne pouvais passer à côté, étant tombé sur un texte dans la revue Decanter qui illustre parfaitement comment on en vient à accepter les arômes de Bretts dans le vin, et même à prétendre trouver ça bon. Le chroniqueur Andrew Jefford nous explique avoir participé à une dégustation à l'aveugle de Cabs californiens et australiens haut de gamme et que lui et deux de ses collègues y ont mal coté le vin californien Cain Five, 2008. La suite est intéressante puisqu'on y apprend que M. Jefford s'est senti un devoir de contacter le winemaker du Cain Five, Chris Howell, pour s'excuser d'avoir mal coté son vin. Un comportement qui en dit beaucoup déjà sur la difficulté qui existe dans ce milieu à dire du mal de vins chers et réputés. Il faut protéger ses arrières pour durer dans ce métier. Jusque là M. Jefford ne parle pas de Bretts pour expliquer pourquoi il n'a pas aimé le Cain Five. Puis ensuite on apprend que l'explication de M. Howell est qu'il  produit des vins réduits et brettés intentionnellement. Pas de surprise-là pour moi. J'ai toujours dit que des producteurs utilisaient les levures Brettanomyces intentionnellement pour donner un style particulier à leurs vins.

La suite de l'histoire montre comment on en vient à accepter les Bretts dans les vins haut de gamme. Jefford n'a pas aimé le vin à l'aveugle, ses collègues non plus, le caractère bretté en est fort probablement une cause, mais son ami winemaker lui explique qu'au contraire c'est une bonne chose, comme d'autres défauts œnologiques. M. Jefford gobe ça et se monte un petit scénario alambiqué pour valider le tout. Il nous dit avoir ensuite fait goûter le vin à un bon petit couple qui connaîtrait peu de chose en matière de vin, mais qui à l'évidence ont un palais bien français et aiment bien le profil aromatique des bons vieux clarets, et voilà, le tour est joué! Le vin qui n'était pas aimé à l'aveugle est réhabilité, face à un vilain vin sucré/vanillé du Nouveau-Monde, en même temps que ses défauts qui devraient être d'une autre époque. Cet exemple montre bien le processus insidieux qui amène l'amateur à accepter et même, à terme, apprécier les arômes de bretts. Des arômes qui sont à la base rebutants pour une majorité de personnes sont apprivoisés par les dégustateurs car ils sont présents dans des vins de renom. Je l'ai déjà dit, pour devenir un amateur de vin haut de gamme il faut pouvoir accepter les arômes de bretts, ou y être peu ou pas sensible.

Cet exemple montre aussi que ces arômes sont placés-là volontairement par de nombreux producteurs. Je me souviens m'être déjà sévèrement fait rabrouer sur un forum de discussion pour avoir avancé que des producteurs utilisaient les Bretts volontairement dans l'élaboration de leurs vins. Le cas de M. Howell et de son Cain Five a le mérite d'être clair. Pas de petit secret un peu honteux de fabrique. Le texte de Andrew Jefford montre bien comment on peut tordre une réalité de départ pour qu'à la fin elle corresponde à ce qu'on voudrait qu'elle soit et devienne ainsi acceptable. Le même processus opère pour l'amateur de vin novice devant un verre d'un vin renommé et bretté ouvert par un ami connaisseur. Le buveur expérimenté s'extasie de la complexité du bouquet et de la qualité du vin, et face à cela le novice prend note. Ensuite, soit il renonce aux grands vins, soit il acquiert le goût avec le temps et l'habitude et transmet la chose par la suite au prochain novice qui voudra découvrir ce monde merveilleux où le conformisme joue un grand rôle.



2 commentaires:

  1. Bonjour M. Vaillancourt,
    Intéressant... Deux remarques cependant :
    - le fait que le vin a fait meilleure figure lorsque bu autour d'un dîner valide, en un sens, votre idée que certains vins sont "faits" pour des dégustations comparatives et d'autres non ;
    - vous dites que le caractère bretté du vin est probablement la cause de sa mauvaise appréciation lors de la première dégustation. C'est bien possible mais Andrew Jefford ne dit pas exactement ceci, il est donc possible que ce soit simplement une mauvaise bouteille ou une réduction qui tarde à partir à l'aération. De plus il ne donne pas de détail sur la seconde bouteille, nous en sommes donc réduits à supposer.
    Cordialement,
    JB

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  2. Bonsoir JB,

    C'est vrai que le texte de M. Jefford manque de précision, comme c'est souvent le cas quand il est question des arômes de bretts... C'est pourquoi j'ai écrit que c'était probablement une cause de la mauvaise note à l'aveugle accordée à ce vin. Ceci dit, les propos de Chris Howell ne laissent pas de place au doute sur le caractère bretté de ce vin. Il avoue l'avoir élaboré avec le concours des levures Brettanomyces, et puis, la conclusion de M. Jefford pointe vers un vin bretté car il dit clairement que son petit couple de buveurs, supposément un peu ignorants, n'y a pas vue de faute, au contraire des pros. Jefford a bu les deux bouteilles du Cain, 2008. Si il y avait eu une différence claire entre le profil aromatique des deux bouteilles, il n'aurait pas écrit un texte à ce sujet car toute sa position tient sur le fait que les deux bouteilles devaient être très semblables. Pour le reste, je suis d'accord que certains vins passent mieux à table, mais les bretts n'y sont pour rien. Cela a à voir avec le style du vin et c'est souvent une excuse pour des vins pas très agréables. À mon sens, les vrais bons vins peuvent être bus à table et par eux-mêmes.

    Claude

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