dimanche 22 février 2015

Prédisposition mentale et appréciation du vin

Ce blogue parle surtout de vins chiliens car mon expérience et mon approche face au vin m'ont mené vers ce pays et ses vins. Les deux sujets précédents l'illustrent bien. Au début j'achetais des vins d'un peu partout, sans préférence particulière, mon seul critère était de trouver des vins montrant un bon rapport qualité/prix. J'achetais des guides comme ceux de Phaneuf et Chartier pour m'aider dans ma quête. Plus tard, par le biais des forums internet sur le vin j'ai commencé à participer à des dégustations de groupe, très souvent à l'aveugle. Au cours de ces dégustations j'ai eu la chance de découvrir le monde du vin plus haut de gamme. J'y ai découvert deux choses fondamentales dans ma vision actuelle du monde du vin, soit l'importance de la prédisposition mentale dans l'appréciation du vin (effet Veblen, pouvoir de l'étiquette) et l'importance des fermentations secondaires (Brettanomyces, etc...) dans le profil de beaucoup de vins plus haut de gamme et mon peu d'affinité pour les vins de ce genre. Cette prise conscience m'a conforté dans mon refuge chilien car le pays offre beaucoup de vins propres montrant de très bons RQP. De plus, avec le temps, j'ai développé un préjugé favorable pour les vins de ce pays, alors ma prédisposition mentale positive envers ceux-ci me permet de les apprécier au mieux, même si cela peut parfois mener à une surévaluation de certains d'entre eux. Je n'ai pas la prétention d'être un dégustateur parfait et mon parti pris est clairement affiché, même si je tente de rester le plus honnête possible dans mes commentaires lorsque j'écris mes impressions à propos d'un vin.

Je pense qu'il est important pour un amateur d'être conscient de ses prédispositions mentales face aux vins qu'il déguste. Les travaux scientifiques de Frédéric Brochet ont clairement démontré l'existence et l'importance de ce phénomène. Ce qu'on pense par rapport au vin qu'on déguste est plus important que ce que l'on en perçoit, surtout lorsque la conviction sur sa nature est forte. J'ai déjà rapporté il y a quelques années une expérience personnelle qui m'avait convaincu à tout jamais de la réalité de ce processus mental. Toujours est-il que je suis tombé aujourd'hui sur une rubrique, sur le forum LPEL, qui implique ce phénomène. Lors d'une dégustation de groupe, un participant a joué un tour aux autres dégustateurs en leur passant un vin renommé à l'aveugle comme vin de bienvenue. Normalement, lors de ces occasions, le vin de bienvenue est un bon vin de prix abordable. Toujours est-il que plusieurs dégustateurs n'ont pas saisi à l'aveugle la grandeur présumée du vin renommé. S'en suit une discussion sur ce qu'est ou devrait être le grand vin, alors que l'expérience confirme plutôt une autre fois l'importance de la prédisposition mentale dans l'appréciation du vin. Après ça, de savoir si le vin est grand, chacun sait que c'est une notion bien relative. J'avais déjà répondu il y a bien des années sur le forum C&S à la question suivante: Qu'est-ce qu'un grand vin? Ma réponse avait été: C'est le vin qui renvoie au dégustateur l'idée qu'il s'en fait. C'était une boutade un peu provocatrice, bien sûr, mais elle contenait un fond de vérité dont je n'avais alors pas saisi toute la mesure.

Lorsqu'on commence à s'intéresser au vin, l'expérience nous fait défaut, mais on a l'avantage d'avoir très peu de parti-pris et d'idées toutes faites qui peuvent influer sur notre appréciation du vin. Il faut essayer de garder l'esprit le plus ouvert possible, mais malgré toute la bonne volonté du monde on développe des convictions par rapport au vin, c'est inévitable. La courte description que je fais de mon parcours en introduction le montre bien. Ceci dit, la conscience de l'influence notre prédisposition mentale est le meilleur moyen de s'en prémunir un peu. C'est important dans un monde du vin qui aime classer et hiérarchiser, noter et médailler. Dans un monde du vin de plus en plus idéologique où l'on aime parfois plus l'idée qu'on s'en fait que le vin lui-même. Dans un monde idéal on devrait ouvrir chaque vin en pure aveugle et le terminer à étiquette découverte. Chaque bouteille serait ainsi un rappel à l'ordre.


vendredi 20 février 2015

MALBEC, 1997, MENDOZA, CATENA



Il fut un temps où l'Argentine présentait pour moi autant d'intérêt que le Chili. À la fin des années 90, c'était un pays qui offrait des rouges généreux et concentrés offrant des RQP très favorables. Toutefois, avec le temps et l'expérience, ma perception des deux pays a changé. Alors que le Chili a progressé à une vitesse foudroyante vers plus de qualité et de diversité, l'Argentine est toujours un pays basé essentiellement sur une grande région, Mendoza, qui offre toujours le même type de rouges bien concentrés, aux fruités très matures. Bien sûr, c'est là une simplification, il y a bien le Torrontès en blanc, quelques Chardonnay de haut niveau venant de vignobles en altitude, puis le Patagonie pour offrir quelques vins de styles plus frais, n'empêche que dans mon esprit l'Argentine demeure un pays qui tire de l'arrière en terme de diversité. Ceci dit, au-delà de tout cela, ce qui m'éloigne le plus de l'Argentine, c'est le potentiel de garde décevant pour moi de ses vins rouges de prix abordables. Les vins tiennent la route, pour ça aucun problème, mais ne se transforment pas vraiment. Après 10 ans de garde on retrouve souvent des vins montrant un profil aromatique peu altéré, et à la structure à peine assouplie. Les vins semblent presque inoxydables. L'intérêt de garder du vin n'est pas qu'il dure le plus longtemps possible, mais bien qu'il se transforme en bouteille pour offrir autre chose avec le temps. Les rouges chiliens, de manière générale, atteignent très bien cet objectif, et ce n'est malheureusement pas le cas de la plupart des argentins avec lesquels j'ai tenté l'expérience. Ceci dit, mon expérience est sur des vins de 10 ans ou plus, car j'ai cessé d'acheter des vins argentins pour la garde depuis le millésime 2005. Ceci dit, le producteur avec lequel j'ai obtenu les meilleurs résultats est Catena. Voyons donc ce que donne ce Malbec de type Reserva après presque 20 ans.

La robe arbore une teinte grenat légèrement translucide. Le nez est superbe avec ses arômes évolués de cerise, d'épices douces, de bois de cèdre, complétés par un soupçon de thé, de terre humide et de feuilles mortes. La bouche révèle un vin svelte où le fruit intense mène encore la danse, avec l'aspect boisé et évolué qui s'amalgame à merveille pour produire l'effet gustatif recherché dans les vins de cet âge. Le milieu de bouche permet de constater que ce nectar a encore une belle présence, des tanins fondus et un niveau de concentration bien ajusté au style du vin. La finale confirme l'harmonie d'ensemble sur une très bonne persistance des saveurs et une très légère pointe d'amertume chocolatée à la toute fin.

Catena demeure pour moi le leader de la viticulture argentine. Bien sûr, ce vin est un exemple illustrant ce qu'un vin datant de 1997 peut donner aujourd'hui. Je ne saurais dire avec certitude ce qu'il en est du potentiel des vins d'aujourd'hui. Le vin était vraiment agréable et montrait une belle évolution, ceci dit, on était loin de la métamorphose que certains vins chiliens de la même catégorie peuvent afficher. Le vin était une déclinaison plus âgée de ce qu'il montrait en jeunesse. Le but ici n'est pas de déprécier les vins d'Argentine. Ce pays demeure une destination de premier choix pour qui recherche des vins à la matière généreuse et au fruité mature. Ce vin montre aussi que le Malbec peut bien vieillir. Toutefois, il faut se rappeler que c'est un vin de type Reserva, et en ce sens il ressemble en terme de proportions à ses contreparties chiliennes. La matière et la concentration sont de très bon niveau, mais c'est clairement en deçà de ce qu'offre les cuvées de luxe, Alta et surtout, Zapata. Alors si l'évolution d'un vin comme celui-ci est lente, je n'ose imaginer le temps nécessaire pour assouplir et transformer significativement les cuvées plus ambitieuses. Ceci dit, ce constat ne s'applique pas qu'à l'Argentine. Rendu à un certain âge il faut se demander si il vaut la peine d'acheter des vins qui auraient besoin d'une garde de 25 ans et plus pour commencer à livrer une version différente d'eux-même. J'ai ouvert d'autres rouges argentins au cours des quelques derniers mois, Norton, Privada, 1999 et 2002, Quimera 2002 et 2004, Malbec Fabre Montmayou, 2001, et le constat sur ces vins concorde avec celui que je fais ici pour ce Malbec de Catena.


dimanche 15 février 2015

Les bretts et l'uniformisation



J'ouvre en ce dimanche un Faugères, Château des Estanilles, 1998. Un vin qui date du temps où j'achetais régulièrement du vin français... Toujours est-il que ce vin était très tannique en jeunesse et sans charme particulier, mais il montrait un profil aromatique intègre. Le vin ne m'avait donc pas vraiment plu, et cette deuxième bouteille a survécu une quinzaine d'années en cave passive. Ayant envie de faire changement, et curieux de voir ce que ce vin de prix abordable pourrait donner après tout ce temps, je me suis enfin décidé à l'ouvrir. Comme je le craignais, dès la première effluve la brett a montré son hideux visage phénolé. Je dis hideux, mais le vin dans ce cas-ci n'est pas ruiné totalement. Derrière le phénol on peut entre percevoir un beau vin évolué, aux tanins assagis, et avec encore une belle matière. Malheureusement il y a ce masque phénolé, cette épice ubiquitaire du monde du vin pour venir uniformiser le tout.

Je n'ai pu retrouver l'encépagement de ce vin, mais c'est probablement composé de Syrah, Grenache et Mourvèdre. Malheureusement, avec le phénol présent, il est très difficile de jouir de l'identité propre de ce vin. Avec son côté bretté il m'a plutôt rappelé le dernier vin de ce type que j'ai frappé, soit le Sena, 1997, Aconcagua, même si l'aspect phénolé est plus marqué dans le Château des Estanilles. C'est quand même fort, le Sena est un assemblage de type bordelais du Chili, mais avec ce qu'ajoute cette foutue levure, un assemblage méditerranéen d'à peu près le même âge lui ressemble. Vous avez dit uniformisation? Comme pour le Sena, on peut percevoir un très bon vin derrière ce masque phénolé, mais même si ça ne détruit pas entièrement le vin, ça demeure pour moi très agaçant. Les deux vins auraient été tellement meilleurs et typiques sans ça. Très dommage.


mardi 3 février 2015

Brettanomyces: Le caractère non assumé (part II)

J'avais déjà écrit un texte sur le sujet suite à un article de Vin Québec. Voilà qu'on remet ça. C'est bien. Trop peu de gens dans le monde du vin parlent franchement de ce sujet. Combien de descriptions de vins alambiquées où on parle de cuir, d'iode, d'encre, d'écurie, de selle de cheval, de fumier, de crottin de cheval, de poulailler, de ferme, de vin fermier, de caractère animal, de réduction, tout cela, sans jamais vraiment nommer la chose. Tout pour ne pas nommer la chose et beaucoup d'ignorance à ce sujet, beaucoup d'incapacité à reconnaître les arômes de bretts avec certitude et toujours ce caractère qui nie la véritable expression du terroir. Ironique car la plupart de ceux qui aiment ces arômes sont convaincus de boire des vins de terroir. Pourtant, toujours la même épice dans des vins de cépages variés venant du monde entier, surtout dans le haut de gamme où on veut imiter les grands classiques français. Après ça on dit que c'est l’œnologie moderne qui uniformise le goût du vin. Ajouter à cela tous les amateurs peu sensibles ou insensibles à ces arômes, plus ceux pour qui c'est devenu un goût acquis. Impossible d'embrasser l'ensemble du monde du vin si on refuse d'accepter ces arômes. Je souhaite que plus de producteurs fassent comme ce M. Howell et en parlent ouvertement. Ceux vraiment honnêtes pourraient écrire sur leurs bouteilles ou sur la fiche technique des vins: Vin élaboré avec l'usage de levures Brettanomyces. Comme ça on pourrait éviter ces vins uniformisés et puants assaisonnés aux arômes de fermentations secondaires. J'ai souvent parlé de vins-fromages, de vins-Roquefort, ce M. Howell va dans le même sens pour ce qui est de nommer la chose. Pour ce qui est de l'apprécier....