lundi 26 mai 2014

Les Bretts conte-attaquent!!!

Une des raisons pour lesquelles l'amateur de vin que je suis a trouvé refuge au Chili repose sur le fait que ce pays est relativement à l'abri du fléau que représente les levures Brettanomyces dans le monde du vin se voulant de qualité. Malheureusement, la faible prévalence de l'influence ces levures sur le profil des vins chiliens ne relèvent pas d'une protection globale et inexpliquée, comme dans le cas du phylloxéra. Non. Les vins chiliens sont moins touchés par cette plaie à cause des pratiques œnologiques plus rigoureuses des producteurs chiliens qui visent à produire des vins stables et propres pour les marchés d'exportation. Il y a donc très peu de laisser-aller au chai car on sait que la nature n'est pas toujours bienveillante. Ceci dit, l'influence européenne "naturalisante" se fait de plus en plus sentir au Chili et des producteurs commencent à imiter les pratiques ésotériques issues de l'Europe selon lesquelles la nature est supposée toujours régler les choses pour le mieux. Bien sûr, la réalité est toute autre...

Ce week-end, j'ai ouvert un vin d'un de ces chiliens, Alvaro Espinoza, qui s'est laissé tenté par le mirage de la biodynamie et de la nature bienveillante. J'ai ouvert ma dernière bouteille de Kuyen 2006 et quelle ne fut pas ma déception de découvrir une bombe brettée. Le vin était dominé tant au nez qu'en bouche par le caractère hideux du 4-ethyl phénol. Ça masquait tout le reste du vin. Plus d'identité, oubliez la notion de terroir ou de cépage. C'était l'empire des Bretts. Quel dommage. Heureusement, c'était ma dernière bouteille. J'avais bu les trois autres en prime jeunesse, car dès l'achat le vin montrait un aspect évolué prématuré, mais pas de traces phénolées. Je me suis rappelé avoir écrit un CR à son sujet sur FDV en août 2009, deux semaines avant la création de ce blogue. En me relisant, je n'ai pu m'empêcher de penser que j'avais assez bien perçu le danger relié à ce vin. En jeunesse il n'était pas marqué par l'action des bretts, mais sa méthode d'élaboration, avec très peu de sulfites et sans filtration, a permis à ces levures de rester vivantes en bouteille, et malgré une garde en cave passive, ces levures ont pu agir en bouteille pendant cinq ans pour finalement gâcher totalement ce vin. Tous les amateurs de vins à risque devraient impérativement les garder dans une cave à 10-12 dégrés Celcius. C'est la seule façon de ralentir l'action de ces levures vivantes en bouteille, mais ça ralentit aussi l'évolution du vin. À moins bien sûr de se régaler des arômes et des goûts phénolés, ou d'y être insensible.

Il me reste quelques bouteilles de Antyial 2005, et de Kuyen 2007, de ce même Alvaro Espinoza. Je ne vais pas attendre très longtemps pour vérifier si elles sont toujours intègres. Je salue l'émergence de petits petits producteurs artisanaux au Chili, mais il ne faudrait pas qu'ils tombent dans le travers des vins instables si courants chez les minimalistes européens. Alvaro Espinoza dit suivre le mode de production biodynamique pour mieux refléter le terroir d'où sont issus ses vins. Je regrette. Un vin dominé par les arômes et les saveurs phénolés est l'antithèse du vin de terroir. Les bretts produisent du 4-ethyl phénol peu importe le terroir et le cépage. Le meilleur exemple d'un vin mondialisé, c'est un vin bretté. Ça goûte la même chose peu importe l'origine.


 

samedi 17 mai 2014

CHARDONNAY, 2011, ACONCAGUA COSTA, VINA ARBOLEDA




Le mouvement chilien vers la côte a commencé réellement avec le développement de la région de San Antonio, qui est en fait le prolongement de la région de Maipo, mais au delà de la chaîne de montagnes côtière. Il y a aussi Casa Silva qui a fait la même chose, plus au sud, en développant un vignoble côtier dans le prolongement de la région de Colchagua. Plus au nord, le groupe Errazuriz a fait la même chose en développant la partie côtière et fraîche de la vallée d'Aconcagua. Ce qui fait que l'appellation Aconcagua Costa désigne des vins issus d'un climat frais qui n'ont rien à voir avec les vins de climat chaud désignés par la simple appellation Aconcagua. Vina Arboleda est le projet de "boutique winery" de Eduardo Chadwick, l'homme derrière Errazuriz. Le vignoble Chilué d'où est issu ce Chardonnay a été planté en 2005 à 12 km de l'océan Pacifique. La vendange est manuelle, les grappes entières sont pressées et la fermentation alcoolique a lieu avec les levures indigènes en barriques de chêne français dont 10% sont neuves. Le vin est élevé sur lies pendant huit mois et 60% du liquide complète la fermentation malolactique. Le vin titre à 13.5% d'alcool, pour un pH bien vif de 3.25 et 3.36 g/l de sucres résiduels. Le producteur évoque un potentiel de garde "abondant", sans préciser de nombre d'années, ce qui est un peu normal compte tenu de la nouveauté du vignoble.

La robe est de teinte légèrement dorée. Le nez ne laisse pas de doute sur le cépage et la nature du terroir à l'origine du vin. Ça sent le Chardo de climat frais où les fruits peuvent atteindre une bonne maturité. On y retrouve des arômes de pêche, de lime, d'orange et de roche mouillée, complétés par de légères notes florales et beurrées. Très beau nez aux arômes de grande qualité. Cette impression de qualité se transmet en bouche où la palette de saveurs est un reflet fidèle du profil olfactif. Le vin montre un bel équilibre entre le gras et l'acidité, le tout complété par une fine touche d'amertume. Le milieu de bouche montre une bonne concentration de saveurs sur un volume contenu. La finale est harmonieuse et montre une très bonne longueur.

J'ai adoré ce vin au profil classique et raffiné. Il est clair que la carte jouée n'est pas celle de la très grande concentration de matière. On a plutôt opté pour l'équilibre et la finesse, qui, combinés, donnent un vin offrant beaucoup de plaisir. Les proportions de ce vin me font penser à celle des rouges chiliens de type Reserva après 10 ans de garde. Des vins modérés, équilibrés, faciles à boire, jouant la carte de la finesse aromatique et de la qualité des saveurs. En fait, des vins qui sont l'opposé du préjugé Nouveau-Monde, sans être des calques parfaits des classiques européens. Ceci dit, les affinités bourguignonnes de ce vin sont évidentes. On est loin du Chardonnay quelconque de Casablanca aux odeurs de maïs en grains. Ce vin de Arboleda est un bel exemple pour illustrer les progrès stylistique et qualitatif que permettent les nouveaux terroirs frais du Chili avec ce cépage. Après la dégustation de ce vin, je comprends le succès qu'a connu le Chardonnay, Wild, Ferment, 2011, Aconcagua Costa, Errazuriz, lors d'une dégustation à l'aveugle tenue sur le forum Fouduvin. Finalement, au prix demandé de 20$ à la SAQ pour ce vin, il se qualifie probablement pour le titre de meilleur RQP en Chardonnay. Je ne connais pas de vins de ce cépage qui offrent un tel style et un tel raffinement pour un tel prix. Ce vin n'a rien à envier à beaucoup de vins de ce cépage vendus beaucoup plus chers. Si votre bonheur ne dépend pas de la présence du mot Bourgogne sur l'étiquette, et qu'il peut supporter le mot Chili, ce vin est une superbe possibilité pour jouir des vertus de ce cépage à prix très abordable. Je vais en racheter demain en promo à 17$ la bouteille!





lundi 5 mai 2014

CABERNET SAUVIGNON, LEGADO, 2011, MAIPO, VINA DE MARTINO




Vous savez comment je vante les mérites des rouges chiliens de type Reserva sur ce blogue. Toutefois, autant j'aime cette catégorie de vins, autant ils sont parfois difficiles à suivre dans le temps. Je ne parle pas de l'évolution du vin en bouteille, je parle plutôt des changements qui peuvent survenir dans l'élaboration de ceux-ci avec le temps. Pour illustrer ce phénomène, cette cuvée Legado est un beau cas de figure. J'ai acheté ce vin une première fois dans le millésime 1997, alors qu'il était nommé "Prima". Au début des années 2000 on l'a rebaptisé "Legado". Le Legado de ces années-là venait de la sous-région de Isla de Maipo, au cœur de la vallée et était issu de vieilles vignes. C'était aussi un vin qui voyait pas mal de bois neuf, au fruité bien mature et qui titrait à 14.5% d'alcool. Les millésimes 2001 et 2002, que j'ai encore en cave, ont bien évolué. Mais voilà, quelqu'un qui achète le 2011 aujourd'hui, achète un tout autre vin. L’œnologue en chef de la maison, Marcelo Retamal, une étoile du virage terroir chilien, a décidé dernièrement de revoir complètement son approche en matière de vinification. Pour ce Cabernet, il est un peu dur à suivre, car ce vin origine maintenant de deux terroirs bien distincts. Une partie des fruits provient toujours de Isla de Maipo, mais le vin contient aussi des fruits d'un vignoble plus récent situé près de Melpilla, dans la partie ouest de la vallée, près de la chaîne de montagnes côtières (même région que Vina Chocalan). Donc, un mélange de vielles vignes et de vignes plus jeunes, et de climat chaud et de climat moins chaud, tout cela avec une vendange plus hâtive qu'auparavant, ce qui se reflète dans un taux d'alcool abaissé à 13.5%. Ajoutez à cela l'abandon du bois neuf pour 12 mois au profit de barriques usagées, dites neutres, et d'un élevage dans celles-ci prolongé à 16 mois. Comme on peut le voir, ça fait beaucoup de changements pour un vin portant le même nom et arborant la même appellation d'origine. Malgré tous ces changements, le producteur évoque un potentiel de garde de 10 ans.

La robe et de teinte rubis plutôt translucide pour un jeune vin de ce cépage. Le nez montre une belle fraîcheur, avec la typicité qu'on attend d'un Cab de cette vallée. On y retrouve un mélange mentholé de cerises et de cassis, complété par du bois de cèdre, des notes terreuse et une touche de poivron vert. Le fruit montre vraiment un bel éclat, et sans apport boisé apparent, il a tout l'espace nécessaire pour se déployer. En bouche, c'est aussi la fraîcheur de l'ensemble qui impressionne. On retrouve un vin aux saveurs de Cabernet, mais avec une structure qui se rapproche d'un vin de Pinot Noir. Les tanins sont fins et discrets, l'acidité vivifiante, ce qui donne à ce nectar, qui ne manque pas de concentration au niveau des saveurs, une belle légèreté et une finale d'une longueur renversante. Je dis renversante, car le côté aérien du vin n'annonce pas une telle longueur. Comme si la concentration du vin n'était située qu'au niveau des saveurs, et qu'il était délesté de tout le reste de la matière non aromatique qu'on retrouve normalement dans un jeune Cab de ce calibre.

Il y a actuellement un mouvement au Chili pour revenir à moins de maturité du fruit, et conséquemment, à des titres alcooliques plus faibles, ainsi qu'à un usage plus modéré du bois de chêne neuf. Je ne renierai pas mon goût pour les Cabs denses, boisés et bien matures, car après 10 ans ils rejoignent une structure plus élancée qui n'est pas si loin de celle qu'arbore ce Legado dès sa prime jeunesse. Ceci dit, de retrouver cette structure affinée avec un profil aromatique montrant la fraîcheur de la jeunesse et une maturité modérée du fruit, c'est très agréable et j'en redemande. Ce vin montre un éclat, une fraîcheur et une longueur remarquables. C'est l'exemple parfait démontrant l'importance de l'homme dans l'élaboration du vin. Marcelo Retamal a décidé d'élaborer un style différent de Cabernet et il a très bien réussi. Pour moi la réussite de ce vin n'est pas un désaveu du style plus costaud et mature. C'est juste un enrichissement de la diversité. Ça montre qu'il n'y a pas de vérité absolue en matière de vin et que l'homme peut décliner les choses de différentes façons, toutes aussi valables les unes que les autres. C'est un peu comme ceux qui veulent absolument diviser la planète-vin en deux, entre des mondes ancien et nouveau. Ça ne tient pas la route, car on oublie la variable essentielle, la variable humaine. Comme je le disais, Marcelo Retamal n'est pas le seul à élaborer des cuvées axées sur plus de fraîcheur au Chili. L'autre Marcelo chilien, Marcelo Papa, une des forces vives du géant Concha y Toro a élaboré une cuvée spéciale du Cabernet, Marques de Casa Concha, dans le millésime 2010. Ce vin issu du même vignoble de Puente Alto d'où sont issus le Don Melchor et la cuvée régulière du Marques de Casa Concha, a été nommé meilleur rouge chilien par le guide Descorchados, 2014, avec une note de 96. Cette cuvée spéciale et limitée à seulement 1800 bouteilles a été élaborée en utilisant les techniques des rouges chiliens des années 70. La vendange a été effectuée un mois avant celle du Marques de Casa Concha régulier qui titre à 14.5% d'alcool, alors que la cuvée spéciale titre à seulement 12.5%. J'aimerais bien goûté ce vin. Il y a un réveil actuellement à propos des qualités des rouges de jadis où la maturité phénolique n'était pas une obsession. Je donnais récemment un exemple d'un de ces vieux rouges chiliens qui ont superbement évolué sur une très longue période, un Cab, 1967 de Santa Carolina qui titre à 13.2% d'alcool.

Finalement, j'ai un aveu à faire. J'ai acheté cette bouteille de Cabernet, Legado, 2011, car dans l'édition du Wine Spectator dont je parlais dans mon texte précédant, on avait octroyé 92 points à ce vin de 17$. Ça m'a fortement intrigué. J'étais curieux de voir en quoi ce vin pouvait se distinguer des autres Cabs de cette catégorie pour mériter un tel score, surtout que l'archétype du Cab de Maipo moderne de cette catégorie, le Marques de Casa Concha, 2011, c'est lui mérité 93 points. Ce n'était donc pas pour une question de style, mais bien de qualité intrinsèque du vin. Au final, je suis totalement confus. J'ai adoré le vin de De Martino. Sa note me semble justifiée, pour ce que ça veut dire, mais si tel est le cas, il y a une flopée de rouges chiliens qui devraient aussi obtenir un score similaire. L'offre chilienne de rouges de ce niveau qualitatif sous la barre des 25$ est immense et à 17$ ce Legado est un superbe achat qui se démarque par son profil original.



dimanche 4 mai 2014

Le nouveau Chili




C'était le titre d'un fil de discussion que j'avais initié sur FDV en juin 2008, un peu l'ancêtre de ce blogue. Le temps passe... Je ne sais pas si j'étais prophétique, mais six ans plus tard, "The new Chile" est le titre de l'édition de mai, actuellement en kiosque, du magazine américain Wine Spectator. Il y a longtemps que j'avais acheté ce magazine, mais avec le thème, et avec le texte que je venais d'écrire sur la quête de reconnaissance du Chili, je n'ai pu résister à aller voir ce qu'on disait de mon pays vinicole de prédilection, surtout avec un titre semblable. Résultat? Sans réelle surprise, le contenu est plutôt décevant pour moi qui connaît très bien ce pays et qui en ai une haute opinion. Bien sûr, on reconnaît les changements qui ont cours depuis plusieurs années au Chili. On reconnaît les efforts pour devenir un pays vinicole complet, mais le ton demeure paternaliste, et en ce sens, le pays est traité en adolescent et non pas comme le jeune adulte talentueux et versatile qu'il est en réalité. Ceci dit, on aborde la quête de reconnaissance du pays que j'évoquais dans mon article précédant, et ce par la voix d'Aurelio Montes qui déclare : "Nous avons besoin d'être reconnus et respectés . Le Chili n'a pas d'image, sinon celle d'être un pays ennuyant". En gros, le propos de Montes est que le pays n'est pas excitant. Ça rejoint mon constat. Ce problème reste entier, même si le sous-titre du Wine Spectator parle de vins excitants. Les vins le sont peut-être, mais pas le pays.

Au-delà de ces considérations, le contenu de cette édition du Wine Spectator est quand même informatif, même si personnellement je n'y ai rien appris. On trace les grandes lignes du paysage vinicole chilien, on interroge brièvement quelques producteurs, et on a droit à un autre article sur le Carmenère. Ça demeure dans les généralités. Kim Marcus, est le nouveau journaliste-dégustateur en charge de couvrir le pays, et on sent que sa connaissance des vins chiliens est limitée, en ce sens qu'elle manque de perspective. L'excellent potentiel de garde des rouges du pays n'est pas évoqué, et l'évaluation qualitative des vins laisse songeur. Bien sûr, avec Wine Spectator on se butte immanquablement aux faiblesses du fameux système de notation sur 100 points. Disons que le ton de l'appréciation est donné avec un tableau où on note les millésimes chiliens depuis 2005. De manière inexplicable, le meilleur millésime, 2007, obtient une note de 93. On parle ici de conditions météorologiques, pas de la qualité d'un vin donné. Il semble impossible d'avoir un millésime qui se rapprocherait de la perfection dans un pays qu'on décrit pourtant comme un paradis de la viticulture. Je pense que ce fait est symptomatique et que ça reflète un état d'esprit face à ce pays. Il y a un plafond qualitatif pré-établi, hors de toute raison. Si les millésimes d'un pays aux conditions climatiques reconnues comme généralement très favorables ne peuvent être notés plus haut que 93, imaginez ce qui en est pour les vins. Le vin le mieux noté est le Don Melchor, 2010, avec 95 points, puis suivent les noms habituels, Almaviva, Clos Apalta et Montes Folly à 94. Le blanc avec la plus haute note est un Chardonnay de Kingston Family avec un 91.

Vous allez me dire que je ne devrais pas m'en faire avec ces notes, vu que je ne crois pas en la validité de ce système. Ce n'est pas vraiment le cas, car si je ne crois pas à la précision des notes sur 100 pour évaluer un vin donné, un ensemble de notes pour de très nombreux vins est plus significatif. Le plafonnement à 95 pour les rouges et 91 pour les blancs est très significatif à mes yeux. C'est comme lire un compte-rendu de dégustation très élogieux sur un vin, puis de voir une note numérique à la fin qui semble contredire les mots qui le décrivait. C'est le chiffre qui l'emportera au final dans l'esprit du lecteur. Donc, avec ce spécial Chili du Wine Spectator, ce sont les chiffres de la fin qui font foi de tout. Au-delà des bons mots, de l'évocation de nouveaux terroirs, de vins excitants, le Chili demeure catégorisé comme un pays de seconde classe qui travaille fort pour sortir de sa condition. Un pays qui frise la grandeur, mais qui pour une raison inexplicable n'y accède pas.