lundi 31 mars 2014

Phase de fermeture: mythe ou réalité?


Je l'avoue, j'ai toujours été dubitatif face à la notion de phase de fermeture associée à l'évolution du vin en bouteille. Je continue de penser que c'est souvent une excuse pour expliquer qu'un vin ne soit pas à la hauteur des attentes. Je pense cela d'autant plus que je garde beaucoup de bouteilles en de nombreux exemplaires que je suis dans le temps et il m'est rarement arrivé de voir un vin changer du tout au tout sur une période de quelques années. Ce que j'observe plutôt, dans la très grande majorité des cas, c'est une évolution graduelle, sans rupture brusque du parcours. Toutefois, il y a de rares exceptions, et je suis tombé ce week-end sur une de ces exceptions qui me font penser que la phase de fermeture peut exister. Pour entamer la fin de semaine, vendredi soir dernier, je décidé d'ouvrir une bouteille d'un vin que j'adore, soit l'assemblage Gran Reserva, 2007, MaipoCosta, de Vina Chocalan. Je voulais voir où il en était dans son parcours et je m'attendais à un vin riche encore sur son profil de jeunesse. Au contraire, j'ai retrouvé dans mon verre un vin peu expressif qui manquait de concentration et d'intensité pour un vin de ce calibre et par rapport aux souvenirs que j'en avais en prime jeunesse. J'étais tellement déçu que j'ai à peine bu 200 millilitres et remis le bouchon sur la bouteille. Le lendemain, je lui ai juste regoûté et il était déjà beaucoup mieux, le surlendemain j'ai terminé la bouteille en retrouvant le vin auquel je m'attendais, concentré, ample, intense et généreux. Un vin expressif qui avait beaucoup de présence en bouche. Tout le contraire de ce qu'il présentait le premier jour. Comment expliquer que le vin était si amorphe le jour de l'ouverture? Je l'ignore, mais il est clair que l'oxygénation prolongée lui a rendu ses attributs. Ceci dit, le premier jour j'avais de la difficulté à croire que ce vin pouvait avoir autant perdu de ses qualités. Comme il m'en reste de nombreuses bouteilles, j'étais plutôt catastrophé. Son retour à la vie était tout aussi surprenant que spectaculaire. J'aimerais bien comprendre au niveau physico-chimique comment un tel phénomène est possible, et pourquoi il se produit pour un vin donné, sur une période donnée. Une expérience comme celle-ci tend à me convaincre que le phénomène de de phase fermeture du vin peut exister, mais comme il est imprévisible, je ne me servirais jamais de cet argument pour excuser un vin décevant. Selon mon expérience, le phénomène est trop rare pour l'invoquer systématiquement. Néanmoins, ça permet de se garder une réserve avant de condamner totalement un vin qui n'est pas à la hauteur des attentes. C'est aussi un autre facteur qui milite pour la garde de multiples bouteilles d'un même vin.



jeudi 27 mars 2014

Le rôle du critique


 Il y a longtemps que je n'avais pas écrit de texte éditorial sur ce blogue, mais aujourd'hui je suis tombé sur un texte sur le site Vin Québec qui m'a donné le goût de réagir. Marc-André Gagnon nous dit dans ce texte que toute critique, bonne ou mauvaise, est positive. À le lire, c'est comme si le critique avait la vérité absolue dès qu'il goûte un vin et qu'il se doit de la partager pour prévenir ses lecteurs d'un danger à éviter. Je pense que ce raisonnement fait abstraction du goût personnel, de la subjectivité, de la variabilité du vin dans le temps et des variations de capacités sensorielles qui existent entre dégustateurs. Personnellement, je ne commente que les vins que j'aime, et je ne crois pas, loin de là, avoir la vérité absolue. Par exemple, je déteste les vins phénolés élaborés à l'aide de levures Brettanomyces. Pour moi c'est un défaut clair, mais je sais aussi qu'un bon nombre de vins renommés et appréciés sont élaborés avec le concours de ce type de levures. Je pourrais bien chercher ce type de vins et les décrier comme mauvais sur mon blogue, mais à quoi cela servirait-il? Je sais que certains amateurs aiment ces arômes, et que d'autres ne les perçoivent guère. À quoi bon penser que mon dédain pour ces arômes s'applique à tout le monde? C'est là un exemple, mais il pourrait en être de même à propos de choses que j'aime dans le vin, mais qui pourraient déplaire à d'autres.

Je pense que les critiques émettent des opinions à propos des vins qu'ils dégustent, et que ceux qui les lisent doivent déterminer à l'usage et dans la durée si un critique est crédible pour eux. Il faut voir si on partage une sensibilité commune par rapport à ce qu'on aime dans le vin. Il y a aussi l'aspect de la garde du vin qui est important. Hors des classiques européens à la feuille de route bien connue, peu de critiques savent vraiment de quoi ils parlent en cette matière. En ces temps où l'idéologie joue un grand rôle dans les opinions émises par certains critiques, je pense qu'il faut aussi connaître le positionnement d'un critique à cet égard pour pouvoir prendre ce qui nous convient dans ses propos. Par exemple, j'aime bien lire le blogueur britannique Jamie Goode. C'est un défenseur du minimalisme dans l'élaboration du vin, et un promoteur des vins dits naturels. Je ne partage pas sa vision à ce sujet, et quand je vois le militant ressortir dans ses écrits, je décroche. Ceci dit, et de façon paradoxale, Goode aime aussi les grands classiques européens qui n'ont rien de "naturel". C'est là qu'il est facile de voir où il faut en prendre et en laisser. Si je continue de lire Jamie Goode, c'est qu'il n'est pas condescendant avec les vins du Nouveau-Monde, à part peut-être ceux du Chili... Pour lui c'est une partie importante et légitime du monde du vin et Goode est une bonne source pour en apprendre plus sur les vins de Nouvelle-Zélande, d'Afrique du Sud et d'Australie. Finalement, même si je n'aime pas le système de notation sur 100 qu'il utilise. Les hautes notes qu'il octroie souvent à des vins de prix très abordables concordent avec ma conviction qu'il y a moyen de très bien boire sans se ruiner et que l'écart entre un bon vin de prix abordable bien choisi et les vins cultes ou prestigieux hors de prix n'est pas si grand. J'utilise l'exemple de Jamie Goode, qui n'est pas le critique le plus connu, pour démontrer que le lecteur peut très bien lire entre les lignes en prenant ce qui lui convient chez un critique. La vérité absolue n'existe pas, et les critiques comme les amateurs ont des opinions et des sensibilités bien personnelles.

Pour revenir à l'utilité, ou non, des critiques négatives, si j'écrivais un guide annuel du vin, je pense qu'il serait important de parler des vins que je n'ai pas aimé, car le but dans ce cas est d'offrir un portrait exhaustif de l'offre en matière de vin. Mais pour avoir acheté le Guide du Vin de Michel Phaneuf pendant plusieurs années, à mes débuts, j'ai vite été en mesure de juger des limites d'un tel exercice. Toutefois, cela m'a aidé à me connaître comme dégustateur, à voir là où j'étais d'accord, et là où je divergeais. Ce qui fait qu'aujourd'hui je peux assez facilement déterminer si une critique me semble crédible par rapport à ce qui compte pour moi. L'expérience et la connaissance de soi comme dégustateur offre une grille de décodage pour les opinions de critiques, qu'elles soient positives ou négatives. J'ai tellement lu de critiques tièdes ou négatives à propos de vins que j'aime, que je sais qu'une critique négative n'est pas une vérité absolue. C'est aussi pourquoi j'aime tant la dégustation en pure aveugle. Sans aucune autre référence que le vin lui-même, bien des critiques négatives pourraient devenir positives, et vice versa.


mercredi 26 mars 2014

SHIRAZ, RESERVA, 2004, LIMARI, VINA TABALI




J'ai beau être le plus fervent défenseur du potentiel de garde des rouges chiliens, en particulier ceux de prix abordables, il y a toujours en moi une part qui doute encore. Après avoir recommandé l'achat de cette Syrah, Reserva, de Tabali pour une garde allant jusqu'à 15 ans, dans la section commentaires de l'entrée précédente, ma part de doute a pris le dessus. Cette part me murmurait que j'avais peut-être été présomptueux dans ma recommandation. Ça disait : "Es-tu sûr de ne pas avoir exagéré?" Pour en avoir le cœur net j'ai décidé d'ouvrir une bouteille de cette cuvée avec du millage au compteur. Impossible d'en avoir une gardée 15 ans, le premier millésime de cette cuvée date de 2002 ou 2003. Quand même. Le vin est à mi-chemin du parcours que j'anticipe possible pour lui, son état actuel devrait pouvoir indiquer si il pourra parcourir le reste du chemin en arrivant comme il faut à destination. Dans les premiers millésimes ce producteur désignait son vin sous l'appellation Shiraz. Il s'est depuis ravisé pour Syrah. Selon mon expérience de ce vin, il se situe quelque part entre ces deux archétypes, avec au surplus un profil bien distinct. Un autre millésime trop vieux pour retrouver des détails sur le web à propos de son élaboration. L'étiquette indique qu'il titre à 14% d'alcool.

Le vin montre une coloration encore bien soutenue, sans signes évidents d'évolution. L'aspect aromatique est quant à lui très typique de cette cuvée. C'est le genre de vin au profil si distinctif que pour le décrire on aurait envie de dire que ça sent la Syrah de Tabali. Le genre de vin qui pourrait très bien faire paraître un habitué à l'aveugle. Si je devais tenter de mettre des mots sur mes impressions, je dirais que c'est un mélange de fruits rouges un peu confits, de rôti de bœuf, de poivre noir, de fumée et de muscade, complété par de légères notes florales rappelant un peu la lavande. Il n'y a pas encore d'arômes tertiaires dans ce nez étonnamment jeune. Cela se poursuit en bouche où le vin montre encore une belle vigueur. Il a perdu de sa rondeur de jeunesse tout en gagnant en densité. On retrouve donc un vin mariant dans une juste mesure fruité et amertume, tout en intégrant un agréable aspect épicé. Cependant, comme la plupart des vins qui gagnent en âge, l'épuration de ses lignes lui donne un air plus strict. Un vin sérieux donc, bien concentré et avec une belle finesse tannique. La finale est intense et longue avec les tanins qui se font sentir à la toute fin sur des relents d'amertume.

Je n'avais pas raison de douter. Ce vin aurait facilement pu évoluer 15 ans en bouteille. Il est surprenant de jeunesse pour un vin de ce prix, même dans le contexte des RQP chiliens favorables. Il est encore assez loin du style fondu des vins âgés que je considère à point. Par rapport à ce qu'il donnait en jeunesse il est plus droit et dense et a perdu de son charme primaire pour adopter un style plus sévère. Le 2011 est présentement disponible en tablettes à la SAQ au prix régulier de 16.45$. Un vin qui peut donc facilement être acheter pour 14.80$ lors d'une promo – 10%. Je n'ai pas encore goûté le 2011, mais j'avais bien aimé les millésimes précédents. C'est un vin qui a gagné en qualité depuis 2004, l'âge des vignes aidant, et avec l'embauche en 2006 de Felipe Muller, un jeune œnologue talentueux qui a fait ses classes chez De Martino avec le réputé Marcelo Retamal. Les prix des bons vins sont à la hausse à la SAQ, mais cette Syrah Reserva est clairement une exception qui vaut la peine qu'on s'y arrête. Un vin de moyenne garde offert à un prix incroyable.


samedi 22 mars 2014

CABERNET SAUVIGNON, MEDALLA REAL, 2001, ALTO MAIPO, VINA SANTA RITA




Une bouteille de ce classique chilien qui commence à avoir un peu d'âge. En tout cas, trop vieux pour trouver de l'information précise au sujet de ce millésime sur le web. L'étiquette dit qu'il titre à 13.5% d'alcool. C'est le petit frère du Casa Real, le Cab haut de gamme de Santa Rita, et il provient du même vignoble de Alto Jahuel dans le haut Maipo. Sur le site de Santa Rita on évoque un potentiel de garde de 8 à 10 ans pour ce vin. Ça me semble très conservateur selon mon expérience avec cette cuvée.

La robe est encore bien colorée, mais on peut dénoter des traces d'évolution par l'aspect orangé et légèrement translucide du pourtour du disque. Le caractère olfactif du vin est très typique du cépage avec des arômes de cassis, de cerise et de tabac. Cette base est complétée par de subtiles notes terreuses, ainsi que de bois brûlé/vanille, de poivron vert et de camphre. Un nez complexe, axé sur la finesse, clairement en cours d'évolution, mais sans notes de feuilles mortes et de thé souvent associées aux vins qui prennent de l'âge. En bouche, on retrouve un vin encore bien en chair qui montre une belle densité de matière. Les saveurs sont intenses, avec un mariage très réussi entre le fruit, l'amertume et l'aspect épicé. Le milieu de bouche confirme le caractère sérieux de ce nectar qui combine juste concentration et volume contenu. Le style est classique, les lignes épurées et la trame tannique à la fois fine et ferme. Le plaisir est donc un peu austère, mais cela n'empêche pas le vin de couler facilement pour qui, comme moi, aime le Cabernet Sauvignon qui s'assume. Cette identité forte ne pâlit pas en finale, au contraire, le caractère du vin y est affirmé avec plus d'emphase sur une persistance de très bon calibre.

J'écris moins sur ce blogue car les vins les plus intéressants que je bois actuellement sont des rouges chiliens avec un certain âge et si je commentais chacun d'eux, je tomberais totalement dans la redite. J'ai choisi de commenter ce Medalla Real car pour moi c'est l'archétype du Cab de Maipo de type Reserva. Aussi, il est disponible à la SAQ pour un prix relativement stable depuis les 15 dernières années. J'ai payé ce 2001, 19.45$, et le 2010 est actuellement offert à notre monopole pour 19.95$. À une époque où l'on se plaint du coût toujours à la hausse des classiques européens, ce Cab chilien est une des meilleures solution de rechange sur le marché. Ce 2001 est superbe à ce stade, mais il est très loin du déclin et a tout ce qu'il faut pour évoluer avec grâce pour au moins dix autres années. Excusez-moi de me répéter encore une fois, mais ce vin n'a rien à envier à des bordeaux ou des Cali-Cabs vendus plusieurs fois son prix. Plus ces Cabs chiliens prennent de l'âge et plus ils se recentrent sur les caractéristiques universelles du cépage. J'ai souvenir d'avoir confondu des experts en 2009, avec le millésime 2000 du Medalla Real, lors d'une dégustation comparative Chili-Californie organisée par Bill Zacharkiw du journal The Gazette. Ces experts pensaient alors avoir affaire à un bordeaux de haut niveau, et bien ce 2001 est au moins du même calibre et il est quatre ans plus vieux que ne l'était le 2000 en 2009. Il faut donc foi et patience pour commencer à mettre de côté ce type de bouteille. Il faut aussi renoncer à l'aspect prestige du vin et s'en tenir au contenu de la bouteille.