samedi 8 février 2014

CARMENÈRE, ESTATE, 2003, ACONCAGUA, VINA ERRAZURIZ



Ce vin est le premier millésime de pur Carmenère produit par Errazuriz dans sa gamme de base "Estate". Depuis il y a des vins de Carmenère à tous les niveaux du portefeuille de ce producteur, dont une cuvée "SingleVineyard" qui est excellente et dont j'ai déjà parlé sur ce blogue. Dans le cas de cette cuvée "Estate", 2003, Errazuriz en était donc encore à l'étape d'apprentissage même si les vignes avaient quand même 10 ans, ayant été plantées en 1993. Peut-être avaient-elles été plantées en pensant qu'il s'agissait de Merlot, ce qui expliquerait que la première cuvée identifiée comme Carmenère ne soit venue que 10 ans plus tard. Ce vin a été élevé sept mois en barriques de chêne français et américains, à parts égales. Il titre à 14% d'alcool pour un pH assez élevé de 3.76. Dès sa sortie, le producteur évoquait un potentiel de garde de 10 ans pour ce vin. Je pense bien être un des rares qui aura mis cette estimation à l'épreuve.

La robe est de teinte grenat encore bien soutenue, mais un aspect translucide légèrement orangé apparaît au pourtour du disque. Le nez est simplement superbe et très complexe avec une palette d'arômes mi-évolués où l'on retrouve un beau fruit rouge subtil, amalgamé à des notes de sous bois, d'encens, de camphre et de café. Il y a aussi un léger aspect floral et un côté épicé évoquant la vanille, la fumé et le sucre brûlé. Vraiment un très beau nez, tout en finesse, le genre qui nous active un ressort dans le bras qui nous fait y revenir inlassablement. Le charme opère de la même façon en bouche où l'on retrouve un vin délicat, tout en finesse. La matière est fondue et la texture est lisse. Ceci dit, les saveurs sont encore bien vivantes et forment un très heureux mariage. On y retrouve une bonne dose de fruit rouge mi-évolué, appuyé sur une juste touche d'amertume, et auquel s'entremêlent des notes de thé et d'épices douces. Le milieu de bouche met en valeur le côté aérien de ce nectar. Ça ne manque pas de concentration, mais la puissance n'est pas à l'ordre du jour. Le vin joue dans un autre registre où le temps a arrondi les angles et allongé les formes, tout en le délestant de manière a obtenir l'équilibre souhaité. La finale confirme avec délicatesse et persistance sur des relent de fin chocolat noir.

Excusez les excès de ma description ci-haut, mais il y a des bouteilles qui suscitent l'enthousiasme et celle-ci le mérite pleinement. Qu'un vin d'entrée de gamme de moins de 15$ puisse donner un tel résultat presque 11 ans après la récolte des fruits dont il est issu est simplement renversant. Ce vin résume ce pourquoi je continue de m'intéresser aux vins du Chili. Ça explique aussi pourquoi ma cave en est pleine. Mon seul regret c'est d'avoir ouvert cette bouteille en solitaire, car dans une dégustation en pure aveugle il aurait déculotter bien sceptiques. Ce vin est actuellement dans la phase que je préfère, avec l'affinage et la complexification qu'apporte le temps en bouteille, mais sans que cela ne se fasse au détriment du fruit. Les divers éléments du vin se sont transformés de façon à offrir un nouvel équilibre. Ce vin n'a rien à voir avec ce qu'il donnait en prime jeunesse où il montrait un côté végétal très marqué. Le mot métamorphose dans son cas n'est pas exagéré. Il a donc un potentiel de garde et un niveau qualitatif totalement hors de proportion par rapport à son prix. Hélas, ce vin rappelle aussi l'incapacité du Chili comme nation vinicole à faire connaître le potentiel de garde de ses vins rouges de prix abordables. Malheureusement, la seule façon de constater ce potentiel, c'est d'acheter une bouteille comme celle-ci et d'avoir la patience et la foi de la garder de huit à dix ans au cellier. Combien d'amateurs seront prêts à faire cet acte de foi? Selon mon expérience, très peu, car même surpris à l'aveugle, l'effet repoussoir de l'origine sans prestige du vin jouera ensuite son rôle. J'ai surpris bien des amateurs à l'aveugle avec des vins comme celui-ci, mais ça n'a pas fait d'eux des convertis aux vertus des vins de ce pays. C'est malheureusement le catch 22 dans lequel le Chili est pris. Les amateurs ne sont généralement pas intéressés à garder des vins sans prestige, si bons puissent-ils être, et le consommateur moyen n'a rien à faire d'un vin de ce genre car il n'est pas intéressé par la garde. Donc, au final, les seuls efforts des producteurs chiliens pour promouvoir le potentiel de garde de leurs vins se fait avec des bouteilles coûteuses qui jouent sur l'effet Veblen pour acquérir un peu de crédibilité. C'est le cas justement de Errazuriz qui promeut le potentiel des vins très chers du groupe, alors que des vins comme celui-ci, et bien d'autres continuent d'être bus seulement en prime jeunesse. C'est bien dommage.