dimanche 21 avril 2013

CABERNET SAUVIGNON, INTRIGA, 2010, MAIPO, MONTGRAS PROPERTIES




Montgras Properties est un groupe comprenant les marques Montgras, Ninquén, Amaral et Intriga. Chaque marque est associée à un terroir particulier. Pour Montgras c'est la vallée de Colchagua, dans le cas de Ninquén, c'est un lieu précis dans Colchagua, soit la montagne Ninquén avec un plateau au sommet de celle-ci. Pour Amaral il s'agit de la fraîche région côtière de Leyda, alors que dans le cas de Intriga, il s'agit d'un seul vin, composé d'un cépage unique, le Cabernet Sauvignon, issu du meilleur terroir pour celui-ci, la vallée de Maipo. Dans ce cas-ci, ce n'est pas l'Alto Maipo, mais plutôt de la partie médiane de la vallée, au sud-ouest de celle-ci près de la ville de Paine. Les vignes produisant les raisins pour ce vin ont entre 10 et 50 ans d'âge et certaines sont conduites en pergola et d'autres en Lyre. La vendange est manuelle et tardive pour la région et le millésime (7 au 17 mai). À titre d'exemple, Vinedo Chadwick, qui est situé à Puente Alto dans l'Alto Maipo, a commencé à cueillir le 23 avril en 2010. La fermentation utilise les levures indigènes. L'élevage en barrique de chêne français dure 24 mois avec un tiers de premier usage et le reste de second usage. Le vin titre à 14.5% d'alcool pour un pH de 3.59 et est bien sec avec 2.68 g/L de sucres résiduels. Le producteur évoque un potentiel de garde de 15 ans pour ce vin.

La robe est ténébreuse et impénétrable. Le nez révèle l'identité de ce vin. C'est du beau Cab chilien, mais on perçoit une différence par rapport au profil que donne généralement ce cépage dans l'Alto Maipo. Le cassis et le menthol qui dominent habituellement les Cabs de l'Alto Maipo sont présents ici, mais en mode mineur. La palette fruitée est plutôt marquée par de beaux arômes de cerise, mâtinés de notes de bois de cèdre, de terre humide et de sous-bois, le tout complété par un très léger aspect boisé rappelant les épices douces. Superbe nez de très jeune Cab, complexe et exhalant des arômes de grande qualité. La bouche est un ravissement pour un amateur de Cabernet comme moi. L'attaque est de velours et révèle un vin à la matière dense et raffinée. Les saveurs sont intenses et de haute qualité. Le fruité est balancé par une juste dose d'amertume qui donne un cachet sérieux à l'ensemble. En milieu de bouche le vin s'exprime avec justesse, sans lourdeur, mais avec toute la concentration nécessaire à un vin de niveau supérieur. Les tanins sont soyeux ce qui ajoute à l'impression de raffinement qui se dégage de ce nectar. La finale est harmonieuse et très longue avec un sursaut dans l'intensité des saveurs. Des notes de chocolat noir et de caramel encadrent le fruit lors du déclin des saveurs.

Depuis le temps que je m'intéresse aux vins du Chili, je suis devenu plus difficile à impressionner et je m'emporte moins dans mes commentaires. Je connais le RQP généralement favorable des vins de ce pays, et je tente de les juger dans leur contexte. Toutefois, il m'arrive encore de tomber sur des vins spéciaux qui se démarquent d'une manière ou d'une autre. Ces vins arrivent encore à me surprendre et c'est le cas de cet Intriga. Quel vin! Et lorsque je pense à son prix je suis totalement renversé. Qu'un vin de ce haut niveau qualitatif puisse être acheté pour seulement 20$ la bouteille est absolument renversant. Ce vin n'a rien à envier à des vins vendus beaucoup plus chers, peu importe le pays. On a affaire ici à un vin de niveau Grand Cru. Bien sûr cette terminologie n'existe pas au Chili, mais si c'était le cas, ce vin pourrait être là sans rougir d'aucune comparaison par rapport à des vins semblables aux prix hypertrophiés. Il n'aurait pas à rougir non plus, au strict plan qualitatif, face à de la compétition étrangère de haut niveau. Qu'il s'agisse de Bordeaux ou de Napa. Ce vin n'est rien de moins qu'un Cab de classe mondiale qui montre un énorme potentiel de garde. C'est absolument incroyable qu'il soit possible de l'acheter ici au Québec à un prix aussi dérisoire. Je reproche parfois à certains producteurs chiliens de mettre la charrue avant les bœufs au niveau du prix en jouant sur l'effet Veblen. C'est tout le contraire dans le cas de ce vin, mais j'ai peur qu'un effet anti-Veblen joue contre lui. J'ai peur que plusieurs ne le prennent pas au sérieux à cause de son prix. Ce serait dommage, car avec sa politique de prix, c'est comme si le producteur avait décidé de faire découvrir son vin par le plus grand nombre. De grâce, si vous achetez ce vin, tentez de le juger de la façon la plus neutre. En ce qui me concerne, ce vin m'a tellement convaincu que j'ai décidé de profiter de la promo du week-end pour en acheter six bouteilles dans une belle caisse en bois digne de son niveau qualitatif. 120$ pour six bouteilles d'un vin aussi bon que certains vendus le même prix pour une seule bouteille. Avec cet Intriga et le Ninquén, Montgras Properties offre deux vins de garde chiliens de grande classe à des prix simplement incroyables. Dans un monde où l'inflation est la norme, je pense que ça mérite d'être souligné et encouragé.



mardi 9 avril 2013

CABERNET SAUVIGNON, 2010, ALTO CACHAPOAL, CLOS DES FOUS



Quand pour la première fois j'ai entendu parler du projet Clos des Fous, je me suis dit que c'était un nom qui cadrait bien avec la perception que certaines personnes peuvent avoir de moi et de mon obsession pour les vin du Chili : "Claude est fou"! Plus sérieusement, si vous voulez mieux connaître la démarche, je vous invite à lire ce court texte de Pedro Parra, l'expert chilien de la notion de terroir, formé en France. Sinon, on pourrait résumer la philosophie du Clos des Fous en disant que le focus est mis sur les zones périphériques du vignoble chilien, avec comme idée que les meilleurs vins sont issus des terroirs limites pour la culture d'un cépage donné. Donc, dans le projet du Clos des Fous, il y a l'idée d'une recherche de fraîcheur. Fraîcheur dans le climat pour un cépage donné qui se transposera dans le vin qui en sera issu. En ce sens, l'Alto Cachapoal est un climat frais pour la culture du Cabernet Sauvignon. Le Clos des Fous c'est aussi François Massoc, un français éduqué en Bourgogne, homme à tout faire de la vigne, qui en plus du Clos des Fous est impliqué dans plusieurs projets novateurs au Chili (Aristos, Calyptra). Pour ce qui est de ce vin, il y a peu d'informations disponibles à son sujet, sinon qu'il provient d'un vignoble unique appelé "Cabeza de loco" (tête folle en français), situé dans les hauteurs de la vallée de Cachapoal, qu'il est élaboré en cuve inox avec élevage sure lies de neuf mois. Le vin titre à 13.5% d'alcool, ce qui est rare aujourd'hui au Chili pour un vin de Cabernet, mais il y a un mouvement qui est amorcé pour abaisser les taux d'alcool. C'est à mon avis une bien bonne chose.

La robe est sombre avec des reflets violacés. Le nez est frais et exhale des arômes de petits fruits rouges, avec quand même une touche du proverbial cassis chilien. Le tout est complété par un peu de menthol, une touche de terre noire et un léger aspect évoquant le sous bois. Nez bien agréable avec le fruit qui mène la marche. Cela se transpose en bouche où le fruité pur et intense domine l'action. Le vin montre une belle fraîcheur grâce à une acidité bien marquée qui contribue aussi à la fermeté de l'ensemble. Le milieu de bouche poursuit dans la même veine, avec un fruité intense et tendu imbriqué dans une matière compacte et sans lourdeur. Les tanins montrent une légère granulation qui apporte une texture agréable. Cela sied bien au style de ce vin qui coule sans effort. La finale garde le cap sur l'intensité fruitée avec une bonne persistance des saveurs.

J'ai bien aimé ce vin pour ce qu'il est, c'est-à-dire une interprétation originale du Cabernet Sauvignon chilien. L'aspect non boisé de ce nectar est bien entendu une de ses caractéristiques principales, l'autre étant son haut niveau d'acidité. Ce vin pourrait être résumé en disant c'est le plus proche qu'un vin de Cabernet peut se rapprocher d'un Beaujolais, le tout avec la touche particulière du terroir chilien. Je dis donc bravo pour l'originalité dans la qualité, mais je pense qu'il faut savoir de quelle qualité on parle. Je ne pense pas que ce vin soit un vin de garde. Je pense plutôt que c'est un superbe vin de soif fait pour être bu jeune. Ceux qui pensent que ça va vieillir comme un bon Cab Reserva chilien élevé en barriques de chêne risquent d'être déçus. Ce vin me fait penser au Merlot, 2007, de Loma Larga, un autre rouge non boisé issu d'un cépage bordelais. J'avais bien aimé ce vin en jeunesse, mais une bouteille ouverte le mois passé m'a convaincu d'ouvrir celles que j'ai encore au cellier dans la prochaine année. Le vin était encore bon, mais sans la cohésion de sa prime jeunesse. L'aspect boisé dans le rouge de garde m'est toujours apparu comme un élément intégrateur, un élément qui permettait de lier les différents aspects d'un vin pour que le tout se fonde avec le temps dans l'harmonie. Ceci dit, comme 99.9% des vins de moins 20$ sont bus très rapidement après l'achat, ce Clos des Fous atteint parfaitement la cible. C'est une façon de boire un vin de Cabernet Sauvignon, sans l'artifice que peut représenter le boisé en jeunesse. En ce sens c'est très intéressant car ça ramène à l'essence du cépage et du terroir. Aussi, de manière un peu paradoxale, par effet de soustraction, l'absence du boisé aide à mieux en saisir la nature dans les vins de Cabernet chilien en général. Finalement, ce vin est une autre preuve qu'il est maintenant ridicule de réduire les rouges du Chili à un stéréotype.


samedi 6 avril 2013

CABERNET SAUVIGNON, 2010, ACONCAGUA, VINA ARBOLEDA




Après mon texte précédant sur Neil Martin et sa vision alambiquée du Chili. J'ai eu le goût de déguster un vin qu'il avait bien noté par rapport à ses pairs et par rapport à des vins plus réputés et beaucoup plus chers pour voir si ce vin se démarquait. Pour voir si il justifiait une note exemplaire de 90. Ce Cabernet de Arboleda est un vin que j'apprécie depuis plusieurs millésimes dont j'ai de nombreux exemplaires en cave. C'est à mon avis un bel exemple de Cab chilen de type Reserva, vendu autour de 20$ la bouteille. Sur ce blogue j'ai déjà commenté le millésime 2008 de ce vin. Dans le cas de ce 2010, il s'agit d'un assemblage comprenant 7% de Cabernet Franc et 3% de Petit Verdot. Il titre à 14% d'alcool, pour un pH de 3.61 et est bien sec avec 2.70 g/L de sucres résiduels.

La robe est sombre et opaque. Le nez est beau et typique, avec des arômes de cassis frais et de cerise, amalgamés à des notes de bois de cèdre, de menthol, de vanille, de terre noire, de poivron vert et de chocolat noir. Belle expression chilienne du Cabernet Sauvignon en prime jeunesse, avec un apport boisé bien dosé. En bouche, on retrouve un vin modelé sur la tradition des rouges chiliens de type Reserva. Il offre de belles proportions, une bonne matière, de la concentration, mais en évitant la lourdeur et l'excès. Il montre aussi une belle finesse tannique qui contribue à le rendre facile à boire. La finale est harmonieuse et intense, avec une longueur de très bon calibre.

Que dire de plus à propos de ce vin sinon qu'il est bel et bien exemplaire. C'est un vin qui pour moi représente l'essence du Cab chilien de type Reserva. C'est à dire un Cabernet de milieu de gamme, de prix abordable, influencé par l'élevage en barriques de chêne, mais dans lequel on ne pousse pas les choses dans le but d'impressionner. Le résultat c'est un vin qui révèle très bien le terroir d'où il est issu et qui est facile à boire en jeunesse, tout en ayant un fort potentiel de garde et d'évolution en bouteille. Un vin mesuré qui n'a pas besoin d'artifices pour être agréable et intéressant. La SAQ demande 19.95$ pour une bouteille de ce vin, mais comme tous les vins chiliens, il peut facilement être acheté en promotion à 17.95$. J'ai souvent pu acheter ce vin en double promotion pour environ 16$ la bouteille. Peu importe, même au prix régulier, c'est un achat très avisé. Un vin que je n'aurais pas peur de mettre dans un alignement de bordeaux vendus au moins deux fois son prix, maintenant ou dans dix ans. Aujourd'hui ce qui le distingue transparaîtrait, alors que dans dix ans ce qui ressemble confondrait.

Cela dit, je ne comprends toujours pas ce qui justifie la note de 90 obtenue par ce vin par rapport à d'autres vins tout aussi bons, sinon meilleurs qui ont été notés bien plus bas. Comment ce vin peut valoir un 90 et le Cabernet Sauvignon, Marques de Casa Concha, 2010, valoir 82 points? Ça dépasse mon entendement. Les exemples de comparaisons qui ne tiennent pas la route sont tellement nombreux que ça ne sert à rien d'en faire la liste. Mon but n'est pas de dire que ce vin ne mérite pas une note de 90. Je ne vois juste pas la cohérence avec plein d'autres vins tout aussi bons et moins bien notés. Il y a aussi des vins plus concentrés et plus longs qui ont besoin de temps en bouteille et qui sont plus mal notés. Il donc difficile de comprendre les critères objectifs derrières les notes. Si c'est juste une question de goût personnel, ou d'impression du moment dans une dégustation marathon, alors ce système est encore plus ridicule. Tout cela pour dire que le 90 donné à ce vin ne vient rien dire car il n'est pas fixé dans un cadre cohérent et qu'à mon avis cette cohérence est inatteignable par les seuls sens de l'odorat et du goût. Dans le cadre européen les notes semblent parfois moins aléatoires car il existe une forte hiérarchisation et que beaucoup de critiques donnent des notes. Toutefois, dans un pays méconnu comme le Chili, un dégustateur étranger qui débarque expose encore plus l'invalidité du système car il a peu de repères. Je pense que c'est ce que Neil Martin a démontré avec sa monstrueuse séries de notes. Je lisais un article dernièrement où même Parker, le concepteur de ce système farfelu de notation, ne pouvait s'y retrouver en semi-aveugle sur un terrain qu'il fréquente assidument depuis 40 ans. Alors imaginez ce pauvre Neil Martin qui débarque pour la première fois au Chili en devant donner des notes intensivement à plus de 1000 vins. Une triste farce.