vendredi 30 novembre 2012

La théorie du 10%


J'écris de moins en moins sur le vin car j'en ai de moins en moins le goût. Pourtant j'aime encore autant le vin et j'en bois encore de façon régulière. Mais je continue de boire des vins sans prestige et de prix abordables et plus je regarde ce qui se passe dans le monde du vin, plus je me dis que c'est une perte de temps que d'écrire à leur sujet. Disons que je l'ai toujours su, mais dernièrement ce constat s'est imposé à moi avec plus d'acuité. Les lecteurs qui lisent à propos du vin sur internet s'intéressent surtout à des vins renommés et assez chers. Lire sur un vin à 20$ ça ne fait pas rêver la plupart des gens, si bon le vin puisse-t-il être. Comme il est impossible à l'écrit de vraiment transmettre la réalité d'un vin, et comme il est aussi impossible de faire abstraction de son origine, écrire au sujet d'un vin pas cher et sans pedigree attrayant semble être un exercice futile.

Vous me direz que beaucoup de professionnels écrivent à propos de vins de prix abordables. C'est vrai. Mais je pense qu'ils le font par devoir, rarement par envie. Je regardais récemment la liste des vins mis à l'enchère par Monsieur "Papilles et molécules", François Chartier. Une liste qui comportait surtout des vins renommés issus de sa cave. Au vu du contenu de cette liste, il m'était difficile de croire à son enthousiasme pour les vins de 20$ et moins dont il traite pourtant abondamment dans ses guides d'achat. Je ne blâme par vraiment M. Chartier pour cela. Pour tenter de vivre au Québec en écrivant sur le vin, il faut ratisser très large. De plus, la démarche de François Chartier, comme amateur, n'est pas différente de celle de plusieurs passionnés que j'ai eu l'occasion de rencontrer au fil de mes pérégrinations dans le monde du vin. Sauf que ceux-ci prétendaient rarement être enthousiasmés par des vins pas chers.

Au Québec il est donc difficile pour quelqu'un qui écrit à propos du vin, et qui espère en vivre, d'être totalement honnête à propos de ce qu'il aime vraiment en cette matière. On ne peut pas repousser du revers de la main la grande majorité des vins qui sont vendus à notre monopole étatique et consommés par la population en général. Heureusement, il existe des marchés plus larges et plus ouverts où les "winewriters" peuvent vraiment exprimer le fond de leur pensée. Ce fut le cas récemment pour le blogueur britannique Jamie Goode qui concluait un texte incisif en disant que 90% de tous les vins produits dans le monde étaient de la merde et qu'il fallait être honnête à ce propos, avec soi-même, et avec les lecteurs. J'apprécie l'honnêteté de M. Goode. Il exprime clairement ce qu'il pense et c'est très bien ainsi. Son 90% me rappelle un peu le 47% de Mitt Romney lors des dernières présidentielles américaines, sauf que M. Goode n'a pas été piégé à son insu. Il l'a fait candidement et volontairement, ce qui est à mon sens symptomatique. Je pense que son avis est partagé par pas mal de professionnels et d'amateurs passionnés dans le monde du vin, mais ce point de vue dérangeant est rarement exprimé publiquement. En privé, cette expression est souvent faite avec plus de nuances, mais le fond demeure sensiblement le même. Il y a les vins pour la masse, et les vins pour les initiés, les connaisseurs.

Bien sûr, je suis en total désaccord avec ce point de vue. Surtout que les vins qui peuvent être associés au mot merde, ceux qui sentent le fumier, le crottin de cheval, je les ai toujours rencontrés dans le 10% de la production que M. Goode vénère. À ce sujet, il était intéressant de lire ses commentaires récents à propos du Château Musar, 2004. Je traduis librement :

"Musar 2004 – le millésime courant d'un vin qui divise l'opinion. J'aime. Même si Musar n'est pas considéré comme un vin naturel, il est pas mal naturel. Il possède de folles saveurs inhabituelles. Pour les puristes, c'est un vin défectueux, avec de l'acidité volatile et de la brett en abondance et un peu d'oxydation. Mais allié à un doux fruité, toutes ces saveurs se combinent harmonieusement, il est délicieux et peut vieillir. Tout le monde a aimé"

Cet exemple boucle la boucle pour moi à propos de mon désaccord avec la théorie du 10% qui symboliserait le monde du vin qu'on dit fin. Musar est un vin fort apprécié par ceux qui adhèrent à cette théorie du 10%, même s'il est réputé pour ses défauts œnologiques. Pour moi ce vin est le symbole d'un discours défaillant même s'il est souvent exprimé avec honnêteté. Dans un monde où bien des amateurs qui se pensent éclairés nous assomment à coup de terroir, un vin emblème comme Musar invalide ce propos. Ce que Musar symbolise, c'est l'antithèse du vin de terroir. L'acidité volatile, les arômes de bretts et l'oxydation, n'ont rien à voir avec le terroir de la vallée de la Bekka. Au contraire. Ce sont des caractéristiques qu'on peut obtenir partout dans le monde et qui s'acquièrent après l'élaboration de base du vin. Ce type de profil s'obtient à cause de choix humains qui interviennent après la fermentation alcoolique, non pas à cause de la nature du lieu où les raisins ont été cultivés.

J'apprécie donc l'honnêteté de quelqu'un comme Jamie Goode qui dit tout haut ce que plusieurs pensent tout bas. Cependant, je trouve son raisonnement invalide et très condescendant, en plus d'être déprimant. Pour moi il exprime un dédain pour le vin en général que j'ai de la difficulté à accepter venant de gens qui se disent passionnés par ce liquide. Je trouve qu'on confond tout, mauvais vins et vins propres. Ces vins non altérés reflètent bien mieux leur terroir que ne le font ce que j'appelle les vins-fromages, les vins-Roquefort. Ces vins qui tirent plus leur caractère de l'action de micro-organismes à l'action secondaire que du lieu d'où ils proviennent. Il me semble qu'il y a souvent chez les gens qui dégustent beaucoup, professionnels et amateurs passionnés, une lassitude, un ennui, face au jeune vin qui ne fait que goûter ce qu'un bon jeune vin doit goûter. Cela expliquerait pourquoi on a plus de respect pour les vins qui se démarquent au plan aromatique, que ce soit dû aux caractéristiques apportées par l'âge ou par l'action secondaire de microorganismes.

Désolé d'écrire si peu souvent et d'y aller d'un texte qui peut sembler bien négatif. Ce n'est pas une expression de mépris envers quiconque, mais plutôt le reflet d'une lassitude, quoique si vous lisez bien, vous y verrez quelqu'un qui persiste à aimer ce jus de raisin simplement fermenté qu'on appelle le vin.


vendredi 9 novembre 2012

Éloge de Concha y Toro

Un article de la revue britannique Drink Business recense les 10 plus gros producteurs de vins en volume au monde. Oui il y a Mondavi et Berringer dans cette liste qui font de bons vins. Oui je suis un ardent défenseur du Chili vinicole, mais quand on regarde les profils de chacun, pour moi il est clair que Concha y Toro se démarque. On dira ce qu'on veut de la gamme Casilliero de Diablo, oui c'est du vin qu'on peut qualifier d'industriel, sans appellation d'origine précise, mais c'est du foutu bon vin industriel.  Plus haut dans la hiérarchie vous avez des vins de terroir, que ce soit les gammes, Riberas, Marques de Casa Concha et Terrunyo, ou bien les cuvées Don Melchor, Gravas del Maipo, Carmin de Peumo, Amelia et Almaviva. Tout cela sans compter tous les autres projets et filiales: Cono Sur, Maycas del Limari, Canepa, Vina Maipo, Vina Palo Alto. En plus il y a Trivento en Argentine et maintenant Fetzer aux États-Unis. De plus, la famille Guilisasti, principal actionnaire de Concha y Toro, est propriétaire de Vina Emiliana, le leader du biologique et du biodynamique au Chili. Selon moi Concha y Toro se démarque clairement des Yellow Tail et Gallo de ce monde. Il s'agit d'un exemple de grosse compagnie qui sait allier qualité et volume. Vin de terroir et vin plus industriel. Le tout pour des prix imbattables. Décidément une locomotive pour le Chili.

jeudi 8 novembre 2012

CABERNET SAUVIGNON, ÉLÉGANCE, 2000, ALTO MAIPO, HARAS DE PIRQUE



Non. Ce n'est pas un doublon de la même note de dégustation. Suite au millésime 2007 dont je vantais le potentiel de garde dans mon précédant message. J'étais curieux de voir où en était rendu la version 2000 de ce vin qui en était le millésime inaugural. En passant, j'ai écrit cette note de dégustation en oubliant totalement que le nom de cette cuvée était Élégance. Je n'ai donc pas modifié les deux fois où j'ai spontanément utilisé ce mot.

La robe est de teinte encore bien soutenue, mais de légers signes d'évolution sont perceptibles au pourtour du disque. Le nez est très beau avec un profil élégant et complexe de cab mi-évolué. On peut y percevoir une agréable combinaison d'arômes portant légèrement la patine du temps passé en bouteille. On y retrouve le cassis, la cerise, le bois de cèdre, l'humus, le menthol et le café. En bouche, le vin présente un aspect intégré et suave, même si la matière est encore bien présente. Les saveurs de superbe qualité sont intenses et se marient admirablement avec le côté soyeux des tanins. Ça permet à l'ensemble de glisser sans effort et de révéler un milieu de bouche avec encore tout ce qu'il faut de concentration, mais où on peut percevoir une indéniable élégance. Cela se répercute dans la finale longue et harmonieuse.

En parlant de lui avec ironie Brel chantait qu'il faut bien être lorsque l'on a été. Dans le cas de certains vins, je dirais plutôt qu'ils ne peuvent être que parce qu'ils ont été. Je veux dire par là qu'un vin comme ce Cabernet de Haras de Pirque ne peut offrir un profil fidèle à son nom que parce qu'il a été autre chose avant. Dans le cas des vins ambitieux à dominante Cabernet, la puissance et l'apparence d'excès précèdent bien souvent l'élégance. Si vous n'aimez dans le vin que l'élégance associée au raffinement, et que vous achetez ce type de vins en jeunesse, vous feriez mieux d'avoir de la patience et de la prévoyance. Dans ce cas, inutile d'ouvrir ce type de vin avant dix ans d'âge. Celui-ci en a douze et il ne fait qu'entrer dans sa fenêtre, pour ainsi dire, civilisée. Je dirais même que selon mes préférences, je l'ai ouvert un peu trop tôt. Ceci dit, c'est vraiment un très beau vin qui met à mal le préjugé voulant que les vins issus de jeunes vignes ne sont pas de bons candidats pour la garde. Le vignoble d'où provient ce vin a été planté en 1993 et 1994. Les vignes étaient donc très jeunes en 2000 et pourtant le vin montre un potentiel de garde certain. Il est encore loin de son déclin et je pense qu'il a le potentiel pour bien évoluer pendant au moins dix autres années. Si vous avez un cellier. Je ne saurais donc trop vous recommander l'achat du 2007 actuellement toujours disponible à la SAQ



CABERNET SAUVIGNON, ÉLÉGANCE, 2007, ALTO MAIPO, HARAS DE PIRQUE





J'ai déjà parlé de ce producteur à propos de sa cuvée Albis, 2005, veuillez vous y référer pour une courte introduction à propos de Haras de Pirque. Ce vin est en réalité un assemblage à forte dominante de Cabernet Sauvignon, auquel s'ajoutent 12% de Syrah et 3% de Cabernet Franc. L'élaboration de ce vin inclut la vendange manuelle, un rendement faible à environ 30 hl/ha, une fermentation alcoolique avec levures indigènes et un élevage en barrique de chêne français pendant 16 mois. Le vin titre à 14.5% d'alcool pour un pH vigoureux de 3.44. Il est aussi très sec avec seulement 2.1 grammes/litre de sucres résiduels.

La robe opaque et sombre montre un bel éclat. Le nez est pur Alto Maipo avec des arômes de cassis et de cerise, ainsi qu'un aspect terreux typique, le tout agrémenté d'une touche mentholée et doucement épicée, ainsi que d'un caractère viandé qui se développe longtemps après l'ouverture, pour ensuite disparaître avec encore plus de temps. En bouche, le vin est la fois souple et ferme, avec une palette de saveurs qui reflète bien ce qui était perçu au nez et qui offre ce qu'on attend d'un jeune Cab de Maipo. Le milieu de bouche permet de confirmer le bel équilibre d'ensemble et la qualité de la matière. Le niveau de concentration est assez élevé, mais ne montre pas l'effet saturant qu'on retrouve dans certains vins très ambitieux en jeunesse. La trame tannique est ferme et soyeuse, ce qui ajoute à l'impression de classe qui se dégage de ce très jeune nectar. La finale condense l'essence de ce vin en un sursaut d'intensité, avant un long déclin des saveurs où l'amertume et la poigne des tanins gagnent progressivement en importance.

Cette cuvée Élégance est un bel exemple de vin chilien de haut niveau qui sait éviter les excès, que ce soit dans ses caractéristiques, ou bien au niveau du prix demandé. Ici on ne tente pas d'impressionner par une concentration extrême de matière, on se concentre plutôt sur l'équilibre et sur les qualités aromatiques du vin. Celui-ci est encore très jeune et sans traces d'évolution, mais à cause des qualités déjà évoquées, il est déjà abordable sur un beau profil de jeunesse marqué par son lieu d'origine. Ceci dit, il est clair qu'il possède un superbe potentiel d'évolution en bouteille. J'ai plusieurs bouteilles du millésime 2000 et 2003 de ce vin en cave, et celles déjà ouvertes m'ont confirmé les qualités de garde de ce vin. Je ne suis d'ailleurs pas pressé de les ouvrir mes 2003 car selon moi ce vin peut facilement être gardé un vingtaine d'années. Je répète que l'Alto Maipo est un des meilleurs terroirs à Cabernet Sauvignon au monde et sûrement le moins reconnu, compte tenu de la qualité et du caractère unique des vins qui y sont produits. Au prix demandé par la SAQ (35$), il s'agit d'une belle occasion de mettre en cave un rouge chilien de fort calibre. 



Le prix du vin à la SAQ


Marc-André Gagnon de Vin Québec y va d'une charge contre la SAQ et les rabais des succursales SAQ-Dépôt. Je ne pense pas que la SAQ-Dépôt se démarque des autres promotions de la SAQ du style "Obtenez 10% de rabais avec un achat d'au moins 100$". Tout le monde sait que le prix régulier des vins à la SAQ est trop élevé et que le consommateur averti doit faire ses achats lors de promos du genre moins 10%. Acheter du vin à un autre moment c'est payer trop cher. Personnellement, j'achète 90% de mes vins à la SAQ lors de promos. Dans ces circonstances, les prix sont généralement corrects face à ce qu'on peut retrouver ailleurs au Canada. On pourrait aussi questionner le choix de la SAQ d'offrir des prix plus compétitifs dans le haut de gamme, par rapport aux vins plus près de l'entrée de gamme. Avec la vente du vin en épicerie, on dirait que tout au Québec est conçu pour profiter de ceux qui ne sont pas des amateurs et pour qui le vin est une marchandise courante.

Pour revenir au système de promotions à la SAQ. Il est clair que ce système est contraignant pour l'amateur qui ne veut pas payer le prix régulier, mais selon moi, ce n'est pas le principal problème de la vente au détail du vin au Québec. Le problème le plus important semble être celui du mode de sélection arbitraire des vins et la façon dont la SAQ les achète par l'intermédiaire d'agents et d'appels d'offres. À mon avis c'est un système opaque où la SAQ ne se sert pas se son pouvoir pour négocier directement les meilleurs prix auprès des producteurs. À l'heure de la commission Charbonneau où l'on entend beaucoup parler d'appels d'offres truqués, de corruption de fonctionnaires, et de services qui ne sont pas obtenus aux meilleurs prix possibles par les gouvernements. Je pense que le cas de la SAQ pourrait être scruté. Je n'accuse personne car je ne suis pas un professionnel du vin proche du système. Mais vu de l'extérieur, comme simple amateur, je me pose des questions. Il me semble qu'en procédant autrement, de manière plus transparente, la SAQ pourrait payer le même dividende au gouvernement, et les consommateurs pourraient payer globalement moins cher pour le vin.

Le vin rouge chilien peut-il bien vieiilir?

Je me suis rendu compte que mon titre précédant sur ce sujet récurrent était inadéquat car il y a une différence entre vieillir et bien vieillir. Voici un autre exemple rapporté dans cet article attestant de la capacité à bien vieillir des rouges chiliens de bonne qualité. Cette fois ce n'est pas du Medalla Real de Santa Rita dont il est question, mais bien de son grand frère le Casa Real, 1997. Si vous lisez ce blogue avec régularité, vous savez que beaucoup de rouges chiliens ont ce potentiel. J'ai fait un test similaire dernièrement avec deux millésimes du Cabernet Sauvignon, Élégance, de Haras de Pirque. Je reviendrai bientôt avec des notes de dégustation à propos de ces deux vins.

Surprise de taille à l'aveugle, encore...


Voici un article intéressant qui relate une partie des résultats d'une dégustation comparative à l'aveugle de vins de Syrah. Malgré le fait que l'on dit que le palais québécois préfère l'archétype Ancien-Monde, ce sont deux vins du Nouveau-Monde (Okanagan et Paso Robles) qui ont remporté les deux premières places, alors qu'une Syrah du pays d'Oc de prix très modique (16.95$) a terminé au cinquième rang sur quarante vins engagés.

L'aveugle a encore une fois triomphé des préjugés sur l'origine et le prix. Pas nécessaire de payer une fortune pour bien boire, et on peut le faire hors des régions traditionnelles. Il suffit de penser autrement et de faire confiance à ses sensations et à son goût. Ce sont là des choses que j'ai souvent répétées sur ce blogue et qui sont réelles. Hors de l'aveugle, vous goûtez en bonne partie ce en quoi vous croyez.

SAUVIGNON BLANC, WAIRAU RESERVE, 2011, MARLBOROUGH, SAINT CLAIR FAMILY ESTATE





Sur ce blogue je parle surtout de vin chiliens car ce sont les vins que j'achète et déguste le plus souvent. Toutefois, plusieurs de ces vins ne se retrouvent jamais sur ce blogue parce que je ne parle ici que des vins que j'ai suffisamment aimé pour que j'aie envie de prendre le temps d'écrire à leur sujet. Ce qui est vrai pour les vins chiliens est aussi vrai pour les vins d'ailleurs dans l'hémisphère sud que je déguste. La seule exception à cette règle est lorsqu'un vin pique mon intérêt pour une raison autre que sa qualité ou son RQP favorable. C'est le cas de ce Wairau Reserve du réputé producteur néo-zélandais Saint Clair. J'ai décidé de m'offrir ce vin car selon mes lectures c'est un bon exemple de ce que la Nouvelle-Zélande peut faire de mieux, à prix assez raisonnable (27.65$), en terme de Sauvignon Blanc non boisé. J'ai dégusté pas mal de Sauvignon Blanc chiliens cet été, dont plusieurs vins qui me sont apparus des RQP de fort calibre. Alors j'avais envie de goûter à une référence crédible venant d'ailleurs pour ce style de vin. Cette cuvée Wairau Reserve est le haut de gamme chez Saint Clair pour les vins de Sauvignon Blanc. Les raisins proviennent des parcelles les plus proches de l'océan. Le vin est élaboré totalement en inox, avec pressage rapide pour minimiser le contact avec les peaux. Le jus clarifié est fermenté à basse température en utilisant plusieurs types de levures sélectionnées. Le vin titre à un très raisonnable 13% d'alcool pour un pH de 3.39, ce qui est plutôt élevé pour un blanc de ce genre. Voyons ce que ça donne dans le verre.

La robe verdâtre surprend par sa pâleur. Le nez aussi surprend par son aspect modéré. Ceci dit il est facile d'y détecter des arômes de fruits de la passion, de zeste de pamplemousse, complétés par un léger trait citronné et une touche végétale évoquant le poivron vert. En bouche, le vin se montre sous un jour généreux et gras pour un vin de ce cépage. Cela est en accord avec une acidité très modérée et des saveurs fruitées matures tirant sur l'aspect tropical. Le milieu de bouche permet de constater le bon niveau de concentration et le volume assez généreux du vin. Une impression d'onctuosité se dégage de l'ensemble, cela permet au vin de glisser sans effort vers une finale harmonieuse et de bonne persistance.

En matière de vin il est important de juger honnêtement la qualité au-delà du style. En ce sens, la qualité de ce vin est indéniable, mais personnellement ce n'est pas mon style favori. Comprenez-moi bien. C'est un très bon vin et je ne dédaigne pas ce style mature et rond une fois de temps en temps, mais je préfère le côté nerveux et ferme que peut offrir le Sauvignon Blanc. Ce vin plaira aux amateurs qui n'aiment pas le Sauvignon Blanc frais et vif, au fruité citrique marqué et à l'aspect végétal plus prononcé. Pour ce qui est du RQP du vin, dans un contexte de marché global, son prix de 27.65$ me semble justifié. Ceci dit, je ne peux m'empêcher de comparer avec mes joyaux chiliens de même niveau qualitatif vendus entre 14 et 20$. Dans ce contexte le vin m'apparaît assez cher. Ceci dit, je ne suis pas sûr d'être tombé sur le vin idéal pour mon exercice de comparaison.

SYRAH, RESERVA, 2009, ELQUI, VINA FALERNIA

 


Je vous ai déjà parlé de cette Syrah de Falernia dans sa version 2007. Je vous réfère donc à ce texte pour en connaître un peu plus sur Vina Falernia. J'ai bu ce vin sur quatre jours et il était meilleur le quatrième jour. Dans son ensemble je l'ai trouvé similaire à l'excellent 2007, cela se reflète dans ma note de dégustation. J'ai relu ce que j'avais écrit sur le 2007 après avoir rédigé ce qui suit sur le 2009. Pour en connaître un peu plus sur Vina Falernia et le caractère distinctif de la vallée d'Elqui voyez ce lien.

La robe est intense et opaque avec de légers reflets violets. Le nez dévoile sans retenue l'identité du cépage dans une livrée de climat frais. En humant ce vin, il est impossible de ne pas penser à un lien entre les vallées de Elqui et du Rhône tellement la modulation du cépage est similaire. Vous m'excuserez cette description qui semble tirée d'un livre de référence, mais ça sent le fruit noir, la fumée, le poivre noir, la violette, la vanille et le chocolat noir. Je reconnais clairement dans ce vin le 4-ethyl gaiacol avec son aspect évoquant à la fois le bois brûlé et la vanille. L'ensemble montre de la complexité et une belle fraîcheur. Très agréable. La bouche n'est pas en reste et reflète bien dans sa palette de saveurs ce qui était perçu au niveau olfactif. Le vin est équilibré dès l'attaque, ample et généreux, avec un fruité intense supporté par une juste dose d'amertume. Le milieu de bouche révèle un vin bien concentré, au volume contenu, et à la finesse tannique évidente malgré sa prime jeunesse. La finale est sans faiblesse, rendant harmonieusement l'essence de ce vin en un sursaut d'intensité, avant un long déclin des saveurs.

Que dire de ce vin qui ne semblerait pas excessif pour un vin de 17$? Si je vous dit que ça goûte la Côte-Rôtie vous me croirez fou. Alors à quoi bon? Une chose est sûre dans mon esprit, Vina Falernia est un producteur à part dans le paysage chilien. Ses vins, et ceux de sa compagnie sœur Vina Mayu, sont vraiment distinctifs et empreints de la marque du terroir comme peu d'autres au Chili. Le parallèle avec les rouges du Rhône nord est incontournable, même si on est pas du tout dans la même gamme de prix. La partie côtière de la vallée d'Elqui semble vraiment une région particulière qui laisse sa trace de façon marquée sur les vins qu'elle engendre. Dans mon texte précédant je disais que si j'étais en charge de la sélection de vins chiliens offerts à la SAQ, il y aurait bien des changements. Je peux vous dire que le premier de ces changements serait d'amener les vins de Falernia/Mayu sur les tablettes du monopole. Ce sont des vins de prix très abordables et tellement distinctifs, sans compter le RQP qui est de très haut niveau. De plus, je suis convaincu du potentiel de garde des vins rouges de ce producteur. J'aimerais pouvoir me projeter dans le temps pour goûter ce vin après dix ans passés en bouteille. Je suis convaincu que ce sera très particulier.


Repas-Dégustation : Vins chiliens de climat frais

 

Pour la deuxième année consécutive j'ai été invité à un repas-dégustation par l'organisme promotionnel Vins du Chili. L'an passé le thème était les vins de Syrah, cette année c'était sur les vins de climat frais. Dans les deux cas c'était un bel événement bien organisé, bien mené et agréable, dans le magnifique cadre des terrasses Bonsecours. Après Élyse Lambert l'an passé, c'était au tour de Jessica Harnois d'être en charge de la mise en contexte des vins.

Encore une fois j'ai pu me rendre compte du fossé qui existe entre l'intérêt que je porte aux vins du Chili et le niveau atteint par ceux-ci dans le marché québécois. Comme l'événement était destiné au marché québécois, Jessica Harnois s'en est tenu aux notions de base et je me sentais un peu comme le petit premier de classe qui connaît d'avance toutes les réponses. De plus, les vins présentés n'excédaient pas la barre des 20$ à la SAQ. Je suis un défenseur des vins de prix abordables. Il est possible de trouver des perles chiliennes sous la barre des 20$, mais en même temps, avec une telle limite on se prive de très bons vins offerts à la SAQ. Ceci dit, onze vins furent dégustés et servis sur un menu élaboré et préparé par le chef Martin Juneau:



SAUVIGNON BLANC

  1. Arboleda, 2010, Aconcagua Costa : Un vin décevant pour moi car il était affecté par un défaut. Il sentait l'acide isovalérique. Ce produit est un métabolite des levures Brettanomyces et d'infimes traces de celui-ci gâchent pour moi les vins blancs.
  1. Santa Rita, Reserva, 2011, Casablanca : J'ai déjà traité de ce vin ici. Cette fois-ci il m'a semblé un cran en-dessous.
  1. Concha y Toro, TRIO, 2011, Casablanca/Rapel/Limari : Assemblage de terroirs. Le vin le moins généreux du lot, le plus discret au nez et le plus acide et fluide en bouche.
  1. Amaral, 2011, Leyda : Mon vin favori du lot. Il arbore la robe la plus pâle. Le vin est expressif au nez, riche et gras en bouche avec un bel équilibre entre le fruité et le végétal.
  1. Carmen, Gran Reserva, Fumé Blanc, 2011, Leyda : Mon deuxième favori, pas loin derrière l'Amaral. Lui aussi issu de la région côtière de Leyda. Le vin est appelé Fumé Blanc et une légère influence boisée est perceptible. Le vin est rond, peu acide pour un Sauvignon, le fruité tire sur le tropical, mais l'ensemble est séduisant et a la vertu de présenter le Sauvignon sous un jour quelque peu différent. Pas encore disponible à la SAQ, mais devrait l'être un peu plus tard.

Les deux vins disponibles à la SAQ que j'aurais mis dans cette sélection pour montrer le meilleur du Chili, tout en respectant la limite de 20$ la bouteille :

Casas del Bosque, Reserva, 2011, Casablanca
Chocalan, Malvilla, 2010, San Antonio





PINOT NOIR

  1. Concha y Toro, Casilliero del Diablo, 2011, Casablanca : Un vin conçu pour plaire au plus grand nombre et qui en ce sens atteint sa cible. Tout en en cerise, en rondeur et en douceur, avec des notes épicées pour agrémenter le tout.
  1. Cono Sur, Reserva, 2010, Casablanca : J'avais bu ce vin à la maison cet été et j'avais été très impressionné, compte tenu du prix très modeste demandé. C'est donc deux en deux, car ce fut mon favori de la vague. On demeure dans le registre du Pinot charmeur au doux profil fruité/épicé, mais l'ensemble montre quand même plus de tonus et de sérieux. Je ne connais pas de vin de Pinot Noir qui offre ce niveau de qualité et de matière pour seulement 15.95$.
  1. Montes, Sélection Limitée, 2010, Casablanca : Une vraie découverte pour moi aurait été de déguster le nouveau Pinot Noir de Montes de la gamme appelée "Outer Limits", issu de la région côtière de Zapallar, située directement sur la côte du Pacifique, au nord de Valparaiso. Ceci dit, ce Pinot de Casablanca m'a bien plu. Il montre la robe la plus claire du lot. C'est aussi le plus élancé et le plus élégant du groupe, même s'il ne manque pas de matière et d'intensité.
  1. Errazuriz, Max Reserva, 2010, Casablanca : Fidèle à la marque de commerce de cette gamme, en rouge, avec ses arômes de pâtisserie qui s'entremêlent au doux côté fruité. Le vin est rond et charmeur, mais compte tenu de son prix, et comparé au Cono Sur, il s'est avéré un peu décevant. J'aimerais goûter ce vin après quelques années pour voir s'il a le même potentiel de garde que les autres rouges de cette gamme. Ceci dit, je fais cette expérience, mais avec le Pinot de la gamme « Wild Ferment » du même producteur.

    Les quatre vins de Pinot Noir sont issus de Casablanca et sous la barre des 20$. Ce n'est évidemment pas la meilleure façon de rendre compte d'où en est ce cépage dans l'ensemble des régions fraîches du Chili. Ceci dit, Casablanca fait de belles choses, mais il y a autre chose aussi. Pour qui veut payer un peu plus cher voici trois suggestions( difficile d'échapper à Casablanca en matière de Pinot chilien offerts à la SAQ):

    Veranda, Oda, 2009, Bio Bio (ne vous fiez pas au site de la SAQ, ce vin n'est pas de Casablanca)
    Errazuriz, Wild Ferment, 2010, Casablanca
    Cono Sur, 20 Barrels, 2008, Casablanca



SYRAH

  1. Arboleda, 2009, Aconcagua : Le problème avec ce vin ce n'est pas sa qualité, c'est qu'il est hors thème, n'étant pas vraiment issu d'un climat frais. Le groupe Errazuriz/Arboleda produit maintenant de la Syrah de climat frais, issue de ses vignobles côtiers de Manzanar et de Chilué, mais cette Syrah de Arboleda ne contient que 15% de fruits provenant de Chilué, la grande majorité des fruits (85%) provient du vignoble Las Vertientes, situé au milieu de la vallée d'Aconcagua, à 40 km de l'océan. Le vin n'a donc pas un profil de climat frais, mais se montre plutôt robuste et généreux, avec un mélange de fruits noirs, de fumée, de poivron vert et d'épices douces. Il est encore très marqué par le boisé et aurait besoin de quelques années de garde pour se présenter au mieux.




ASSEMBLAGE BLANC

  1. Emiliana, Signos de Origen, 2010, Casablanca : Un blanc très généreux et exotique, de belle qualité, qui même s'il est issu de Casablanca ne représente pas vraiment le style associé aux blancs de climats frais que le Chili peut produire. Je reviendrai bientôt sur ce vin dont j'avais déjà dégusté une bouteille.


Ce fut un très bel événement. Pour un novice en matière de vins chiliens il s'agissait d'une belle introduction menée dans un cadre agréable. Pour un amateur averti de la scène chilienne comme moi, avide de découvertes, la grande dégustation annuelle de Vins du Chili est plus intéressante. Elle aura lieu cette année le 26 septembre aux Entrepôts Dominion. Pour ce qui est du développement des vignobles de climat frais au Chili. Sachez que le mouvement se poursuit. J'ai appris récemment que Vina Undurraga allait planter du Pinot Noir, à une échelle commerciale, à 46 degrés de latitude, très loin au sud du Chili. Ce vignoble sera situé bien plus près du Cap Horn que de Santiago et je pense que ce sera le plus méridional de l'hémisphère sud. Il sera situé à rien de moins que 700 km au sud de Malleco qui est actuellement l'appellation la plus méridionale du Chili. Ce n'est là qu'un exemple montrant que le Chili vinicole est loin d'avoir terminé sa migration hors de sa zone de confort traditionnelle. Ça montre aussi qu'il y a encore beaucoup de possibilités inexplorées dans ce pays. Le Chili n'a donc pas fini de captiver l'amateur en moi qui aime suivre et goûter la redéfinition de ce pays vinicole à l'offre de plus en plus variée.


Plaidoyer pour plus d'ouverture et de neutralité chez les chroniqueurs vin professionnels


Je suis tombé récemment sur un texte très intéressant du vigneron Hervé Bizeul, sur le forum "La Passion du Vin", où il explique les raisons l'ayant poussé à demander au guide d'achat de la Revue du Vin de France de ne pas commenter ses vins dans son édition 2012. Je ne suis pas vigneron, néanmoins, comme amateur privilégiant un pays peu prestigieux. Je me suis reconnu dans les propos de Hervé Bizeul. En plus, comme lui je suis convaincu des vertus incontournables de la dégustation à l'aveugle et je suis aussi sceptique que lui face aux dérives idéologiques prônant la supériorité des vins biologiques, biodynamiques ou dits naturels, avec le parti pris stylistique qui vient avec...

Les producteurs axés sur la qualité, mais venant de régions moins renommées, et n'adhérant pas aux modes du moment, que ce soit le style prôné par les revues américaines, ou bien celui des cercles branchés français, font face à un dilemme. Comment peut-on promouvoir ses vins en misant sur ce qu'ils sont? Sans une note de 90 et plus, ou un commentaire positif dans une revue branchée, il est difficile de se démarquer aux yeux de l'amateur. Sans cela, comment peut-on convaincre le consommateur d'acheter son vin et de l'apprécier pour ce qu'il est, sans à priori? Le problème actuel du monde du vin, c'est qu'il est de plus en plus idéologique, ce qui veut dire que les consommateurs ont de plus en plus besoin d'une caution extérieure pour les guider dans leurs achats. Si l'amateur peut être un buveur d'idées, le journaliste qui traite de vin devrait être impartial, ce qui implique de déguster en pure aveugle et de mettre ses impressions en contexte hors de ses préférences personnelles. Malheureusement, la dégustation en pure aveugle n'existe pas dans la presse vinicole. Si c'était le cas, les hiérarchies, anciennes et nouvelles, auraient tôt fait de voler en éclats, et ce ne sont pas vraiment les vins qui seraient mis en cause, mais la fiabilité des dégustateurs. On comprend donc pourquoi les chroniqueurs vin ne dégustent pas en pure aveugle. Au mieux on se risque pour de petite vague bien délimitée, en semi-aveugle. Quand on connaît le type de terrain visité, il y a moins de risque d'avoir l'air fou. Je dis cela en assumant qu'on édite pas les commentaires après dévoilement des identités, ce qui est loin d'être certain. Qui veut avoir l'air fou et mettre sa crédibilité en jeu?

Le monde du vin est beaucoup plus riche et vaste que ce que les professionnels qui écrivent à son sujet veulent bien nous faire croire. La variété de terroirs et de styles légitimes est bien plus grande que ce que l'on en dit généralement. Je comprends la frustration de quelqu'un comme Hervé Bizeul qui voudrait que ses vins soient jugés de manière impartiale et qui pense que sa région du Roussillon peut produire des vins aussi bons qu'ailleurs, mais avec un style marqué par ce terroir et par la vision personnelle de celui qui les élabore. Je pense qu'il est temps dans le monde du vin de sortir des clichés traditionnels et des idéologies. Le nombre d'endroits où des vins de grande qualité sont produits est plus grand que jamais auparavant, de même que la variété stylistique globale. J'écris ces mots en dégustant une excellente Syrah sud-africaine du Swartland. Un vin qui a son style bien à lui et qui n'a rien à envier en terme de qualité à des vins reconnus de régions plus traditionnelles. Même si mon blogue se concentre sur les vins de l'hémisphère sud, en particulier ceux du Chili. De manière globale, je demeure un partisan des vins venant de régions non prestigieuses de partout dans le monde. Je suis aussi un amateur de vins qui ne sont pas à la mode et qui ne misent pas sur l'effet Veblen. J'avoue qu'en réaction à une situation que je considère injuste, ma position peut sembler idéologique, mais elle a selon moi le mérite de ne pas être à la mode. Je ne dis pas qu'il ne faut boire que des vins de régions peu reconnues et sans prestige. Il existe aussi des trésors cachés dans les régions traditionnelles. Je dis qu'il faut donner plus de chances à ces vins négligés en les abordant de la façon la plus neutre possible. Il faut juger les vins, peu importe l'origine, pour ce qu'ils sont plutôt que pour ce qu'ils ne sont pas. Trop de professionnels du vin ont le mot terroir à la bouche, mais ne cesse de tout ramener à quelques terroirs traditionnels. Le terroir dans ces circonstances devient un facteur d'exclusion plutôt qu'être ce qu'il est vraiment, c'est-à-dire l'élément de diversité le plus intéressant qui soit.

Réaction de Hervé Bizeul