samedi 30 juin 2012

SYRAH, CHONO, 2009, ELQUI, GEO WINES




Geo Wines est un projet mené par le réputé œnologue et biodynamiste chilien Alvaro Espinoza. Les vins sont élaborés à partir des régions les plus appropriées pour les cépages impliqués et dans le cas de la Syrah, la vallée d'Elqui est un choix très avisé. Après l'excellent millésime 2007 de ce vin, je remet ça avec ce 2009 qui m'avait favorablement impressionné lors du dernier salon de Vins du Chili tenu à Montréal en septembre dernier. J'y avais alors perçu un vin similaire au 2007, avec ce côté aromatique évoquant de bons vins du Rhône nord. Pourtant, il y a un monde de différence entre la Côte-Rôtie et la partie côtière de la vallée d'Elqui, mais ces deux endroits modulent des arômes similaires avec la Syrah. Il faut dire que pour ce 2009, 10% des fruits viennent d'un vignoble bio de la vallée de Limari, située un peu plus au sud. Le vin a été élaboré en inox et seulement un quart du volume est passé par des barriques de chêne neuves (français et américain) pour environ six mois. Le vin n'a pas été filtré et titre à 14% d'alcool.

La robe est de teinte rubis de moyenne intensité. Le nez montre des éléments ayant une ressemblance frappante avec le classique du Rhône nord. On y dénote des arômes de fruits noirs, de poivre noir, de violette et de lavande. Une légère touche goudronnée vient compléter le tableau. Un nez propre, frais et séduisant qui donne beaucoup de plaisir. Ce plaisir se poursuit en bouche où le vin se déploie sur le mode de la fraîcheur, avec une certaine fermeté. L'agréable palette aromatique se reflète bien au niveau des saveurs avec l'aspect fruité qui tient le premier rôle. C'est un vin de corps moyen qui possède une belle concentration et un volume contenu. Les tanins sont discrets avant la finale où ils montrent un peu de poigne. C'est donc un vin qui coule sans effort et qui brille par sa qualité aromatique. Ce caractère aromatique culmine dans une finale intense, de belle allonge, aux légers relents de chocolat noir.

Dans mon billet précédant j'évoquais les vertus de la modération et des qualités aromatiques dans le vin, et bien cette Syrah du bout du monde en est un bel exemple. Rien n'est trop appuyé dans ce vin où on ne tente pas d'impressionner par la force. Le vin ne manque de rien et il a toute la présence nécessaire en bouche pour soutenir l'intérêt et offrir un plaisir palpable. Pour les amateurs de Syrah rhodanienne, ce vin est une alternative très intéressante, offerte à une fraction du coût. À mon avis c'est un vin qui devrait faire courir les amateurs de vins distinctifs, mais j'ai peur qu'il ait deux gros défauts pour la clientèle branchée adepte d'importations privées. Il est chilien, donc sans pedigree, sans prestige, et il est de prix très abordable (17$), malgré qu'il soit vendu en I.P. chez Trialto. C'est difficile de ne pas avoir de préjugés face à un vin de 17$, chilien en plus. Oubliez l'effet Veblen et l'image négative que vous pourriez avoir du Chili. Ce vin est une belle façon de découvrir une facette du Nouveau-Chili et ça pourrait changer votre perception du potentiel de ce pays. La SAQ offre la Cabernet Sauvignon, Reserva, de la gamme Chono. C'est un bon vin, mais pas très différent de bien d'autres Cabs chiliens de Maipo, alors je ne comprends pas pourquoi on n'a pas plutôt décidé d'offrir cette Syrah qui se démarque clairement par son profil aromatique des autres vins de Syrah chiliens de cette gamme de prix. Le seul qui s'en rapproche au point de vue aromatique, c'est la Syrah, Bayo Oscuro, de Kingston Family pour laquelle il faut débourser le double (33$). Si cette Syrah était offerte à la SAQ au prix du Cab et qu'elle était bien promue par les conseillers, elle ferait un malheur car je ne connais pas de vin de Syrah de ce type offert à un si bon prix. Rien ne s'en approche en terme de rapport QD/P (Qualité, Distinction/ Prix).


vendredi 29 juin 2012

Jour sombre

La revue Decanter vient de décidé de se convertir au système de notation sur 100. Le dernier bastion significatif du monde anglo-saxon vient de tomber face à ce système ridicule. Les amateurs de précision saugrenue seront comblés et les vins qui n'obtiendront pas le fameux 90 continueront de pâtir et les producteurs continueront de faire des vins ayant comme but d'atteindre ce risible 90. Chez Decanter on déguste vraiment à l'aveugle, mais auparavant, lors des panels de dégustation, on faisait des moyennes et malgré cela il y avait beaucoup de résultats surprenants. Maintenant les notes individuelles des dégustateurs seront publiées. J'ai bien peur qu'il y ait de l'édition pour éviter d'avoir l'air fou sur certains vins, ou bien on va faire de petites vagues bien ciblées pour bien guider les dégustateurs et éviter les inmanquables récifs de l'aveugle pure. Une chose est sûre, on ne laissera pas le ridicule de la notation sur 100 être révélé par la dégustation en pure aveugle. On va suivre l'exemple américain. Misère!

mardi 26 juin 2012

La modération négligée

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Très récemment j'ai dégusté deux vins qui ont ramené à mon esprit une réflexion que je me fais de plus en plus au fur et à mesure que je progresse dans le monde du vin. Ces deux vins sont des rouges bien différents, mais qui m'ont également impressionné malgré leur dissemblance. Un de ces vin est la cuvée LFE 900, 2008, de Luis Felipe Edwards dont j'ai traité dans l'entrée précédant celle-ci sur le blogue, mais il y a aussi le Cabernet Sauvignon, Gran Reserva, 1999, Maipo, de Vina Tarapaca que j'avais dégusté le jour avant au resto avec un ami passionné de vin. Le vin de Tarapaca n'avait pas la richesse, la puissance ni la longueur en bouche du LFE 900. C'était un vin de corps moyen montrant ce profil mi-évolué que seul le temps en bouteille peut procurer. Ceci dit c'était un vin complexe et exquis, à la fois sérieux et facile à boire, et qui m'a procuré beaucoup de plaisir. Le LFE 900 aussi m'a procuré du plaisir, mais un plaisir bien différent. Je suis sûr que s'il était possible de comparer les deux vins au même âge, le LFE 900 l'aurait emporté par KO au premier round. Il a tellement plus de matière que le Tarapaca pouvait en avoir en jeunesse, alors imaginez aujourd'hui avec les 12 ans de bouteille de celui-ci. Il est clair que si ces deux vins avaient pu être soumis au même âge à un "donneux" de notes sur 100, le LFE l'aurait emporté haut la main. Il aurait déclassé l'autre par au moins 10 points. Malheureusement, ce résultat aurait, selon moi, été totalement erroné.

Comme je l'ai dit en introduction, les plaisirs distincts que ces deux vins m'ont donné m'ont amené à réfléchir sur les critères qui permettent d'établir le niveau de qualité d'un vin. De plus en plus, je trouve que les éléments utilisés pour établir le niveau qualitatif du vin sont trop axés sur des choses comme la concentration, la puissance et la longueur en bouche, alors que la qualité et la distinction aromatique, de même que la finesse et la facilité à boire sont des éléments trop souvent négligés car plus subjectifs et moins impressionnants. Les facteurs évoquant la force dans un vin sont difficiles à manquer et ce faisant plus objectifs, alors que les éléments de subtilité et de détails sont plus subjectifs et moins universellement facile à percevoir. Il y a aussi le goût personnel qui peut entrer en ligne de compte, et la disposition pour un style de vin en particulier au moment de la dégustation. Les comparaisons entre le vin et les œuvres d'art sont toujours un peu boiteuses car les sens de l’ouïe et de la vue sont des sens beaucoup plus précis que ceux de l'odorat et du goût. Néanmoins, aimant la musique, j'aime bien comparer le vin à une chanson. Par exemple, la même pièce peut être interprétée avec un orchestre symphonique, ou de façon intimiste en mode piano/voix. Il est clair que la version avec grand orchestre sera plus impressionnante pour l'auditeur, qu'elle marquera plus ses sens, mais est-ce que ça veut dire qu'elle sera forcément meilleure que la version plus tranquille où seul un piano et une voix font le travail? Selon moi les deux peuvent avoir leurs mérites selon ce que recherche l'auditeur, selon sa disposition du moment. De la même façon que les deux vins que j'ai évoqué plus haut offraient quelque chose de différent, sans que l'un soit nécessairement meilleur que l'autre. L'un est plus impressionnant, alors que l'autre est plus délicat. Le premier s'impose à notre attention, alors que le deuxième a besoin de notre attention.

Plus j'évolue dans le monde du vin et plus je me rend compte que comme pour la musique il est important pour moi de pouvoir choisir le volume. Parfois j'ai le goût que ça frappe fort, mais parfois j'aime aussi jouir d'un plaisir plus reposant. Un plaisir plus facile au sens où les sens sont sollicités de façon plus douce, mais un plaisir plus exigeant car c'est le dégustateur qui doit aller vers le vin et non l'inverse. Bien sûr, il y a un danger avec ma définition des choses. Ce danger s'est de tout confondre et de mélanger concentration modérée et finesse. L'équilibre, et la qualité aromatique sont pour moi les éléments primordiaux pour juger du niveau qualitatif d'un vin. La complexité peut aussi être un élément à considérer. Je pense que ces qualités peuvent se retrouver dans des vins très concentrés, longs et puissants, mais elles peuvent aussi se retrouver dans des vins plus modérés et ce sont ces vins qui, trop souvent selon moi, sont injustement déconsidérés. Je n'ai rien contre les vins qui en donnent beaucoup, cela fait son effet, mais ce petit texte est un appel à découvrir, ou redécouvrir, les vertus du vin modéré. Pour moi la modération en matière de vin n'a pas nécessairement meilleur goût, mais de plus en plus les vins de cette catégorie me sont nécessaires et il n'y a rien de mieux que la garde prolongée pour en produire de beaux exemples.


dimanche 24 juin 2012

LFE 900, 2008, COLCHAGUA, LUIS FELIPE EDWARDS




Luis Felipe Edwards est un producteur que j'apprécie par le biais de sa grande cuvée Dona Bernarda. Un vin qui se compare en termes qualitatif à bien des vins chiliens vendus plus du double de son prix. C'est donc avec intérêt que je goûte pour la première fois la cuvée LFE 900 de ce producteur. Si le nom Dona Bernarda évoque un certain classicisme, LFE 900 ressemble plus à un nom de code et suggère quelque chose de plus moderne. Une chose est sûre, le vignoble d'où est issu ce vin est jeune, les vignes avaient cinq ans d'âge en 2008. Il s'agit aussi d'un projet aux visées qualitatives ambitieuses et qui pour moi se situe dans la mouvance que j'appelle le Nouveau-Chili. Les vignes de ce vignoble sont plantées à flanc de montagne, parfois en terrasses, et même au sommet à 900 mètres d'altitude, d'où le nom de la cuvée. Je joins un lien qui vaut vraiment la peine d'être consulté pour saisir l'essence de ce projet. On y voit des photos spectaculaires qui montrent bien l'ampleur et la beauté du projet. Pour ce qui est du vin à proprement parler, il s'agit d'un assemblage on ne peut plus original comprenant 36% de Petite Syrah (Durif), 30% de Cabernet Sauvignon, 24% de Syrah, 7% de Carmenère et 3% de Malbec. Le vin a été élevé 18 mois en barriques de chêne français neuves. Il a aussi été filtré et il titre à 14.5% d'alcool pour un pH de 3.60.

Sans surprise la robe est d'encre, impénétrable. Le nez lui, dès le premier abord, transpire la qualité et l'ambition. Il s'en dégage des arômes intenses et profonds de cerises et de groseille amalgamés à un aspect boisé/épicé bien présent et complétés par une touche chocolatée. C'est nez très riche, dominé pour le moment par les arômes que je viens de décrire, mais des notes fugaces se détachent ici et là en cours de dégustation et on sent qu'il y a un potentiel supplémentaire à révéler avec le temps. En bouche, c'est un vin avec beaucoup de matière qui se révèle. Cette matière généreuse est de très grande qualité, le vin est très concentré avec des saveurs très intenses qui sont un reflet fidèle des arômes perçus au nez. La relative douceur du fruit et de l'apport boisé est équilibré par une juste dose d'amertume. En milieu de bouche, encore une fois la richesse de la matière et le très haut niveau de concentration impressionnent. Le vin a du volume et de la rondeur, ainsi qu'une souplesse salvatrice qui lui permet de bien couler malgré la densité de sa matière. Les tanins sont bien présents avec une texture veloutée qui contribue à la souplesse déjà évoquée. En toute justesse, et pour rester dans l'esprit de ce vin, je dirais sans exagérer que la finale permet d'atteindre un sommet dans l'intensité gustative. Heureusement, l'harmonie est préservée avec beaucoup de longueur.

Moi qui aime dire mon admiration pour les vins de profils modérés, je dois l'avouer, j'ai été impressionné par la puissance maîtrisée de ce très jeune vin. C'est un nectar concentré qui en met plein les papilles à ce stade très précoce de son espérance de vie. En l'ouvrant je savais ce que je faisais. Je savais à quoi m'attendre, mais j'en ai eu plus qu'anticipé. Je l'ai ouvert par curiosité, pour apprendre, mais j'ai quand même obtenu ce plaisir spectaculaire que peuvent offrir les jeunes vins bien nés et ambitieux. Sur un aspect plus technique, ce vin est intéressant car il a été filtré tangentiellement sur membrane 0.65 microns. S'il est vrai que la filtration enlève de la matière essentielle au vin, je n'ose imaginer ce qu'une version non filtrée de ce vin aurait donné. Pour moi ce vin démontre plutôt qu'une filtration bien menée est bénéfique. J'ai eu la chance déjà de goûter plusieurs "grosses" cuvées chiliennes très chères, et je peux vous dire que ce LFE 900 n'a rien à leur envier. Ce vin tombe clairement dans la catégorie des super-cuvées très concentrées au boisé luxueux et qui en jeunesse ne font pas dans la dentelle. Je ne boirais pas ce type de jeunot ambitieux sur une base régulière car c'est un vin qui par sa nature est très demandant pour le dégustateur. Ce n'est pas le genre de vin qui se laisse boire tranquillement. Il a tellement de matière qu'il vous rappelle sa présence à chaque gorgée, mais en faisant cela, il vous rappelle aussi à chaque fois son haut niveau qualitatif et les promesses qu'il offre pour le futur. Certains producteurs chiliens commencent à s'éveiller au potentiel de garde de leurs vins. Sur la contre-étiquette de celui-ci, on parle d'une apogée dans quatre à six ans et un plateau optimal qui durera jusqu'en 2025. Personnellement, je doublerais ces chiffres sans aucune crainte. Si ce vin venait d'une appellation prestigieuse, je n'ose imaginer son prix. Toutefois, même dans le contexte chilien il s'agit d'une aubaine formidable. Il est du même niveau et style que des cuvées vendues deux ou trois fois son prix. Au lieu d'acheter un Clos Apalta à 111$, obtenez presque quatre bouteilles du même niveau à 30$ chacune. Si vous aimez les sensations fortes vous pouvez ouvrir dès maintenant, sinon c'est un vin de grande garde à un prix pratiquement imbattable. Les stocks de ce vin sont déjà très bas à la SAQ, ce n'est pas pour rien.

jeudi 14 juin 2012

La passion du vin, la raison, son prix et le respect


Si vous lisez ce blogue, même de temps en temps, vous savez que pour moi le rapport qualité/prix est l'élément le plus important me guidant dans mes achats. Au-delà du RQP j'ai aussi une limite quant au prix maximal que je suis prêt à débourser pour une bouteille. Celui-ci est de 50$. J'ai très rarement payé plus pour une bouteille de vin, et la plupart du temps où je l'ai fait, c'était une bouteille achetée spécialement pour participer à une dégustation entre amateurs. Ce type de dégustations avec des passionnés de vin m'a permis de déguster beaucoup de vins franchissant allègrement la limite de prix que je m'impose pour ma consommation personnelle. Cela m'a quand même permis de tester mes convictions par rapport au prix maximum que je suis prêt à payer pour un vin, et même si j'ai eu de très belles expériences, cela ne m'a pas amené à changer d'idée sur le sujet. Je continue de penser qu'une limite de 50$ permet de très bien boire et de goûter à une très grande variété de vins. Ceci dit, qui dit limite, dit nécessairement contrainte, restriction. C'est quelque chose que j'accepte et assume.

Si je parle de ce sujet aujourd'hui, c'est que je suis tombé sur un fil de discussion sur le forum Fouduvin à propos d'un "tweet" du conseiller en vin Nick Hamilton. Fouduvin est un lieu virtuel où j'ai passablement écrit avant de démarrer mon blogue, et la lecture de ce fil m'a rappelé pourquoi j'ai arrêté d'y écrire à un moment donné. Il est très difficile dans le monde des passionnés du vin de tenir un discours comme le mien ou de faire une affirmation comme celle de M. Hamilton sans devenir une cible. C'est rapidement perçu comme un manque de respect. Plusieurs qui ne partagent pas ce point de vue et qui paient cher pour certaines bouteilles en viennent rapidement à la conclusion qu'on les prend pour des imbéciles. Ce qui ne saurait être plus faux. Diverger sur un point de vue ne remet pas en cause l'intégrité des personnes qui ne partagent pas la même opinion. Mais le monde du vin demeure un milieu particulier ou l'ego est souvent mis à l'avant-plan. J'ai eu la chance d'y connaître plein de gens formidables qui ne partagent pas mon point de vue sur la question et jamais il ne m'est venu à l'esprit que c'étaient des imbéciles. Généralement c'étaient des gens plus passionnés que moi et plus généreux aussi. Dans des dégustations en pure aveugle, sans contrainte de prix, on peut argumenter et s'amuser, mais il est vrai que le contact humain, intime et direct est bien différent du monde virtuel, impersonnel et ouvert au regard de tous.

Une chose est sûre dans mon esprit. Peu importe notre approche personnelle face au monde du vin, si celle-ci est authentique, une approche divergente prônée par quelqu'un d'autre ne devrait pas être perçue comme une attaque personnelle. Le vin est quelque chose de trop changeant et difficilement saisissable par nos sens pour y lier notre ego. Il faut juste s'assumer, ce qui n'empêche pas de discuter, idéalement devant quelques bonnes bouteilles. J'ai eu la chance de déguster et discuter une fois avec Nick Hamilton et il m'a alors semblé être très ouvert d'esprit et connaître très bien son sujet.


dimanche 10 juin 2012

Le Chili est un producteur de classe mondiale


Eduardo Chadwick est un des plus grands leaders du monde vinicole chilien. Il mène plusieurs projets de front, d'abord Errazuriz, mais aussi Vinedo Chadwick, Sena, Arboleda et Caliterra. Frustré par le manque de reconnaissance rencontré selon lui par les vins chiliens dans la presse spécialisée mondiale, Chadwick s'est lancé depuis 2004 dans une série de grandes dégustations à l'aveugle où ses vins sont servis en parallèle avec certains des vins les plus réputés et les plus chers du monde. Le 18 mai 2012 il a remis ça à Londres lors d'une dégustation où le focus était mis sur la cuvée Sena. Peter Richards, le spécialiste des vins chiliens pour la revue Decanter rend compte sur son blogue de cette dégustation qu'il a co-présidée. Son texte est très intéressant. D'abord, M. Chadwick y explique pourquoi il persiste à tenir ce genre d'événements. Je le cite en traduction libre :

"La raison pour laquelle j'ai commencé à tenir ces dégustations était que je suspectais que nos meilleurs vins étaient sous-évalués au niveau des scores simplement parce qu'ils étaient du Chili. C'est pourquoi j'ai voulu une « justice aveugle ». Mon but avec ces dégustations n'est pas de prouver que nos vins sont meilleurs que d'autres. Le but est de prouver qu'ils sont de classe mondiale"

Prouver la classe mondiale des meilleurs vins chiliens inclut aussi de démontrer leur potentiel de garde. Une chose que les dernières dégustations organisée par M. Chadwick ont bien démontré. Il est aussi intéressant dans le texte de Richards de comparer ses propres choix avec ceux du groupe d'une cinquantaine de dégustateurs, incluant des acheteurs britanniques et un bon nombre de représentants chinois. Le groupe a préféré des vins plus jeunes, Sena 2008, Sena 2010, alors que Richards, un « Master of Wine » a préféré un vin plus âgé, le Sena, 1997, classé huitième sur 10 par le groupe. Lors d'une autre dégustation avec douze « Masters of Wine » tenue en octobre 2011 à Santiago, le même Sena, 1997, avait terminé premier et le 1995 deuxième. J'ai trouvé cette différence intéressante car elle concorde avec mon expérience de dégustation avec des passionnés et connaisseurs. J'ai toujours remarqué qu'à l'aveugle le connaisseur aura tendance à choisir les vins de profils plus évolués par rapport aux vins à la jeunesse évidente. Parfois je me demande si ce choix est vraiment une question de goût ou bien si c'est pour se conformer à l'idée de ce que devrait être un vrai connaisseur. Il faut aussi noter que l'âge atténue les caractéristiques d'origine des vins. Ce qui fait que les vins chiliens âgés ont toujours beaucoup plus de succès à l'aveugle au près des connaisseurs, car l'origine est plus difficilement détectable. La justice aveugle réclamée par M. Chadwick est ainsi plus facilement rendue.

Toute la démarche d'Edurado Chadwick est une quête de reconnaissance. On pourrait aussi dire que c'est une quête de justice, mais je pense que l'homme est trop lucide pour croire que le monde du produit de luxe auquel il s'attaque a quelque chose à voir avec ce grand principe. Les prix demandés par Chadwick pour ses vins sont parmi les plus élevés du Chili, preuve qu'il a compris le mécanisme de l'effet Veblen. Toutefois, il faut mettre les choses en contexte. Ces prix élevés, dans le contexte chilien, demeurent très bas face aux vins prestigieux consacrés. Toutefois, la quête de prestige associée aux prix élevés font des vins de Chadwick de mauvais achats dans le contexte chilien, pour qui s'intéresse strictement au vin et n'est pas à la recherche d'un produit de luxe. De la même façon que les premiers grand crus de Bordeaux sont de mauvais achats sur une stricte base de rapport qualité/prix. Je demeure admiratif de la démarche d'Eduardo Chadwick car elle comporte une bonne dose de courage et de persévérance. Je pense aussi que pour un pays vinicole en déficit de prestige comme le Chili, cette démarche est nécessaire. Dans le monde du vin, le respect s'acquière avec la qualité, bien sûr, mais aussi avec le prix affiché sur la bouteille sur une longue période. Mettre un prix élevé sur une bouteille est une chose, mais arriver à vendre ce vin année après année en est une autre. C'est un pari entrepris il y a plus de dix ans par Chadwick et qu'il est en train de gagner. Cette victoire est bien sûr symbolique, mais il ne faut pas sous-estimer la valeur des symboles. De plus, au-delà des symboles et du prestige, pour qui n'est préoccupé que par le vin, le Chili est clairement un producteur de classe mondiale. Il continue d'offrir de formidables vins, de styles de plus en plus variés, à des prix défiant toute compétition. Le Nouveau-Monde dans le meilleur sens du terme.

Lien vers un portrait d'Eduardo Chadwick et de sa stratégie pour son groupe et pour l'ensemble du Chili vinicole

jeudi 7 juin 2012

SAUVIGNON BLANC, CIPRESES VINEYARD, 2007, LO ABARCA, SAN ANTONIO, CASA MARIN


 


La cuvée Ciprese Vineyard, 2005, fut un de mes premiers contacts avec ce que j'appelle le nouveau Chili. Ce vin avait été une révélation pour moi et j'en avais acheté pas moins de 18 bouteilles, dont une douzaine pour en suivre l'évolution et le potentiel de garde. Il m'en reste aujourd'hui huit. C'est donc un vin dont j'ai suivi l'évolution de près. Il tient encore très bien la route et a évolué de belle façon tout en conservant avec l'âge son caractère baroque. Je n'aurai pas la chance de faire de même avec ce 2007, car je n'avais pu mettre la main que sur deux bouteilles. Celle-ci est la première que j'ouvre. J'ai bien hâte de voir ce que ça donne.

La robe est encore de teinte vert pâle, sans signe apparent d'évolution. Le nez est modéré et étonnant dans son expression. À l'aveugle j'aurais probablement misé sur un vin de Riesling plus que sur un Sauvignon Blanc. On y retrouve des notes légèrement citronnées et miellées, ainsi qu'un très bel aspect floral. Le point le plus surprenant est l'absence de notes végétales vertes typiques de ce cépage et surtout de cette cuvée. Beau nez agréable, mais quand même déroutant pour quelqu'un qui connaît très bien le millésime 2005 et qui s'attendait à retrouver un lien de parenté dans ce 2007. En bouche le vin montre un bel équilibre qui s'appuie sur un aspect citronné plus marqué qu'au niveau olfactif. L'acidité est bien présente, mais le temps semble en avoir un peu émoussé le tranchant, ce qui donne un vin plus facile à boire par lui-même. En milieu de bouche le vin est intense et bien concentré. Il affirme bien sa présence et l'aspect floral se marie bien au fruit pour donner une agréable sensation gustative. La finale montre un beau mariage des saveurs, avec une certaine rondeur et une allonge de haut calibre.

Pour parler un langage de chimiste, je dirais que cette cuvée est passée du mode pyrazinique en 2005 au mode terpénique en 2007. J'ai dégusté ce vin en relative jeunesse lors d'une dégustation thématique sur le Chili il y a deux ans et il m'avait alors semblé plus près du profil standard pour un Sauvignon Blanc de climat frais. Deux jours après la dégustation du 2007 j'ai ouvert une bouteille de 2005 pour comparer. Le contraste était frappant. Je sais qu'il y a deux ans de différence entre les deux vins, mais la robe du 2005 était beaucoup plus foncée. Il faut dire que le 2005 est embouteillé sous liège, alors que le 2007 est sous capsule à vis. Je ne sais pas si cette différence explique en partie le profil atypique du 2007. Je complète la rédaction de ce texte en terminant la bouteille de 2005, et je dois avouer que je suis un peu triste. Ce n'est pas que je préfère le 2005 au 2007 en terme de qualité, à ce niveau ils sont comparables, mais le 2005 est un vin tellement original que ça m'attriste de penser que ce style a été abandonné. C'est comme boire une espèce en voie de disparition. Bien sûr, on pourrait penser que cette différence n'est due qu'à une question de millésime, mais selon ce récent texte de Petrer Richards à propos de Casa Marin, un changement stylistique a été opéré à partir de 2007. Maria Luz Marin attribue ce changement à l'âge des vignes, mais je ne suis pas totalement convaincu par cette explication. Le changement est trop marqué pour s'expliquer par cet unique facteur. Je pense qu'il s'agit surtout d'une décision commerciale. En un sens cette décision de changer le style de ce vin est un peu compréhensible car le style sauvage du 2005 était loin de faire l'unanimité. On se souvient que la SAQ avait retiré ce vin de la vente, alléguant que celui-ci était défectueux, avant de changer d'idée plus tard, non sans avoir créer un froid durable avec le producteur. Ce fut d'ailleurs la première et dernière apparition des vins de Casa Marin sur les tablettes de la SAQ. C'est bien dommage. Malgré cela, j'avais réussi à me procurer deux bouteilles de ce 2007 et il est clair que si la qualité est toujours au rendez-vous, le style est plus rassembleur, même si moins original. Casa Marin est un producteur qui continue de m' intéresser et dont je vais continuer de rechercher les vins, en espérant les revoir un jour à la SAQ. La SAQ offre de plus en plus de vins chiliens intéressants, des vins venant de certains des meilleurs producteurs du pays. Ceci dit, il y encore bien des absences regrettables et Casa Marin est assurément une de celles-ci.


dimanche 3 juin 2012

ALBIS, 2005, ALTO MAIPO, HARAS DE PIRQUE


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La famille chilienne Matte a acquis les terres qui forment le vignoble de Haras de Pirque en 1991 et les premières vignes y furent plantées en 1992 et 1993. Pirque est la région de l'Alto Maipo située à la plus haute altitude. Les raisins ayant servis à l'élaboration de ce vin proviennent de parcelles situées à flancs de montagne. C'est un assemblage composé de 80% de Cabernet Sauvignon, le cépage emblématique de la région, et de 20% de Carménère, le cépage oublié de Bordeaux qui est maintenant devenu une spécialité chilienne et qui convient bien aux assemblages. Le vin a été fermenté en petits lots dans des cuves de chêne français Taransaud. Il a ensuite été élevé pendant 18 mois en barriques de chêne français neuves. Il titre à 14.8% d'alcool. Cette cuvée a été crée en 2002 pour marquer l'association de la famille Matte avec la réputée famille italienne Antinori. L'oenologue d'Antinori, Renzo Cotarella, collabore à l'élaboration de ce vin avec sa collègue chilienne Cecilia Guzman.

La robe est sombre. Le nez est très typique des bons vins de Cabernet de l'Alto Maipo, avec des arômes de cassis, de cerise, de menthol, d'herbes aromatiques, de bois de cèdre, de terre, d'épices douces et de chocolat noir. Superbe, riche et profond, bien ouvert et toujours dans sa phase de jeunesse. Le ravissement se poursuit en bouche où le vin se montre équilibré sur le mode dense et concentré, avec beaucoup d'intensité aromatique. Le profil complexe de saveurs reflète bien ce qui était perçu au nez. Le fruité domine, mais les aspects mineurs contribuent à créer ce mélange unique qui caractérisent les bons rouges de cette région trop peu reconnue. Le milieu de bouche persiste dans la veine dense et concentrée, avec du sérieux et une belle présence. La finesse des tanins est digne de la grande classe qu'affiche ce vin, alors que la finale est harmonieuse et d'une très grande longueur.

Je déteste les comparaisons où on utilise des exemples classiques pour dire ce qu'un vin n'est pas. Ce superbe Albis n'est pas un bordeaux. Non. Mais il y a un air de parenté indéniable quelque part dans ce vin. Le croisement des cépages bordelais (même délaissé) avec un grand terroir étranger donne ici une sorte de bordeaux exotique de grand calibre. Un vin qui à la fois fait dire c'est ça et c'est pas ça! Comme un enfant issu d'un même père, mais d'une mère différente. Ici la mère, la terre nourricière, c'est l'Alto Maipo. Même que plus précisément c'est Pirque car même au Chili on commence à définir des terroirs plus limités, là où l'expérience le justifie. Ne me demandez pas pourquoi, mais certains comparent Pirque et son voisin Puente Alto à Pauillac. C'est bien sûr une analogie, car les deux endroits on peu en commun, sinon de faire des merveilles distinctes avec le Cabernet Sauvignon. Cette cuvée Albis en est un exemple probant. C'est un vin encore bien jeune, mais qui a de la classe. C'est aussi un vin élaboré dans la mentalité classique du grand vin, avec le surplus de concentration et de longueur généralement associé à ce concept aristocratique où généralement plus égale mieux. Je ne partage pas entièrement cette conception, mais quand le vin est bon, quand l'équilibre est présent, inutile de s’embarrasser avec des idées. Le vin suffit pour couper court au superflu et nous ramène immanquablement vers l'essentiel. Le plaisir que procure le liquide présent dans le verre. J'ai acheté ce vin car j'avais déjà bien apprécier la version 2003, et qu'il est bon de fréquenter, de temps en temps, certains des vins les plus ambitieux d'un pays ou d'une région. Ça donne de la perspective. La beauté avec cet Albis, 2005, c'est qu'il est offert à un prix stable et somme toute raisonnable (50$). Compte tenu qu'il a déjà un peu d'âge et qu'il est facile de l'obtenir à 10% de rabais à la SAQ, pour les 45$ payés, je considère que c'est un superbe achat. Ceci dit, ce vin est encore en phase de jeunesse et il lui faudra au minimum cinq autres années en bouteille pour commencer à montrer des signes d'évolution. Dans dix à quinze ans il aura perdu son côté exotique et pourra se comparer directement avec des bordeaux beaucoup plus chers. Un vin qui vous donne le choix entre l'exotisme et le classicisme en autant que vous ayez la patience requise.