vendredi 23 décembre 2011

SUR LE VIF

Je suis tombé avec amusement sur cette résolution pour 2012 de Frederic Fortin sur le blogue de la SAQ:

" En ce qui me concerne, je m’engage à redécouvrir les vins du Nouveau Monde et à le faire, cette fois-ci, sans a priori négatif ou préjugé défavorable."

Il faut dire que M. Fortin revient d'un voyage au Chili, qui comptait aussi la sommelière Jessica Harnois, et dont j'ai parlé récemment, elle qui s'émerveillait à propos de Vina Vik. J'aime la résolution de M. Fortin, mais j'aime surtout le fait qu'il reconnaisse avoir des préjugés défavorables à l'égard des vins du Nouveau-Monde. J'aime aussi que ce soit un voyage au Chili qui lui ait permis de s'ouvrir les yeux sur la diversité des vins de ces pays. Toutefois, s'il faut que chaque amateur se rende au Chili pour voir les vins de ce pays différemment, la situation n'est pas à la veille de changer. Pas besoin d'aller au Chili pour apprendre que ce pays compte aujourd'hui une grande variété de terroirs et que cela se reflète de plus en plus dans ses vins. On peut se contenter de consulter mon blogue... mais c'est certain que ça n'a pas le charme d'un voyage au Chili. M. Fortin ajoute même que des vins chiliens peuvent rivaliser avec les grands vins bordelais et toscans. C'est pas moi qui le dit...

Moi pour 2012 je n'ai pas de résolution, mais plutôt un souhait. Celui de voir la SAQ améliorer son offre de vins chiliens pour mieux rendre compte des progrès de ce pays. Cette offre s'est bonifiée au cours des dernières années, mais elle est encore loin d'être un reflet fidèle du Chili vinicole actuel. Celui qui peut susciter des conversions. Amener le meilleur du Chili à ceux qui ne peuvent s'y rendre. Voilà une autre façon de faire tomber des préjugés défavorables.


24 Décembre


Une de mes idées fixes à propos du vin est que si on est prêt à laisser l'aspect prestige de côté, il y a moyen de très bien boire à une fraction du prix. Toutes les dégustations à l'aveugle démontrent cela, mais il y a une très forte résistance chez l'amateur passionné à admettre ce fait. C'est compréhensible, quand on décide de payer plus cher pour une appellation spécifique, il est difficile d'admettre que cette prime est essentiellement reliée au prestige de l'étiquette. La dernière chronique de Nick Hamilton rapporte ses résultats de dégustation à l'aveugle dans la catégorie des vins mousseux. Sa conclusion, le Champagne est un vin mousseux cher, au RQP décevant, et pour lequel il y a de meilleures alternatives si on est prêt à ne pas avoir l'appellation Champagne inscrite sur l'étiquette.


Article de Jacques Benoît

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samedi 17 décembre 2011

GJE, Chadwick, et l'utilisation des mythes bordelais en dégustation à l'aveugle

Une autre controverse dans la blogosphère vin à propos d'une dégustation confrontant un vin sans prestige à certains noms mythiques de Bordeaux. Là comme dans le cas des dégustations organisées par le Chilien Eduardo Chadwick, il s'en trouve pour dénoncer le procédé et pour remettre en question cette manie de la comparaison, de la classification et de la notation. Moi je veux bien. Je pense avoir clairement établi par mes propos sur ce blogue que je suis contre la notation précise des vins et contre la classification de ceux-ci. Ceci dit, je trouve quand même ironique de dénoncer ce type de dégustation, alors que les grands noms qu'on y introduit comme référence, certains diraient faire-valoir, sont eux-mêmes issus d'un système de classification qui les place au-dessus de tout le reste. Je trouve que le système figé de classification bordelais, de par sa nature même, appelle le défi des laissés pour compte. C'est un phénomène naturel, et il serait bien plus fréquent si ce n'était du prix exorbitant des grands noms bordelais qu'il faut se procurer pour tenir ce genre de dégustation. Comme je le mentionnais dans le cas des dégustations de Chadwick, et c'est vrai aussi pour les dégustations du Grand Jury Européen (GJE), financées par Yves Vatelot, propriétaire du Château Reignac, le but de ce type d'exercice n'est pas de rabaisser les grands noms qu'on y introduit, mais bien de montrer qu'il se fait de très bons vins toujours offerts à prix raisonnables. L'exercice n'est cependant pas désintéressé, et il y a certainement un but mercantile derrière tout ça. Si la possibilité se présente par la suite d'augmenter le prix des vins qui auront bien paru, les commanditaires de ces dégustations le feront sûrement. Eduardo Chadwick en est un bon exemple, puisqu'il a gonflé le prix de son Cabernet Sauvignon, Vinedo Chadwick à 165$. S'il peut le vendre à ce prix, tant mieux pour lui. L'amateur pour sa part n'a qu'à ne pas tomber dans ce piège en se rappelant qu'on pourrait confronter des vins de 30$ au Vinedo Chadwick à l'aveugle et que là aussi il y aurait des surprises. Il y longtemps que j'ai compris ce principe, et ça explique pourquoi j'évite systématiquement les vins très chers.

vendredi 16 décembre 2011

Quelle est la cause principale de l'augmentation générale du titre alcoolique des vins?

Plus tôt cet automne j'ai lu un petit texte de Jacques Benoît, sur le site Cyberpresse, à propos de l'augmentation du taux d'alcool dans les vins depuis environ 15 ans. À ce moment je me souviens avoir pensé qu'il était totalement passé à côté en ce qui a trait aux raisons qu'il donnait pour expliquer ce phénomène. Je me demandais comment il était possible d'écrire un texte, même très court, sur ce sujet en passant tellement à côté de la véritable raison expliquant la montée du contenu en alcool des vins. Personnellement, j'avais la conviction que ce phénomène était principalement dû à la montée en popularité du principe de la maturité phénolique. Jusqu'au début des années 90, la pratique courante était de se fier au taux de sucre pour déterminer le temps propice aux vendanges. Toutefois, il arrive souvent que la montée du taux de sucre précède la maturité phénolique des raisins. Donc, dans le but d'obtenir des tanins à maturité optimale, on a commencé à cueillir plus tard, ce qui a eu pour effet de donner des raisins contenant plus de sucres et moins d'acide. La conséquence de ce choix est d'obtenir des vins plus alcooleux pour lesquels il faut souvent corriger l'acidité en ajoutant de l'acide tartrique en cours d'élaboration. Le réchauffement climatique a probablement un léger rôle dans l'histoire, mais il me semble bien moins important que la décision humaine de cueillir les raisins plus tard. En fait, le réchauffement climatique a probablement plus d'effet dans des régions où les raisins avaient traditionnellement de la difficulté à mûrir parfaitement, sauf lors de millésimes exceptionnels. Le réchauffement climatique donne donc la possibilité aux vignerons de ces régions de cueillir plus tard dans le but d'atteindre la fameuse maturité phénolique. Une possibilité qu'ils avaient rarement auparavant. Le réchauffement climatique ouvre donc une possibilité, mais les vignerons pourraient toujours décider de cueillir plus tôt s'ils le désiraient vraiment, mais face à la nouvelle possibilité, ils optent souvent pour des tanins plus mûrs et un taux d'alcool plus élevé. Donc, au-delà du réchauffement du climat, la possibilité de choisir de l'homme derrière le vin demeure.

Un bel exemple de cela est celui donné dans cet article à propos du cheminement du "winemaker" chilien Marcelo Retamal qui œuvre pour Vina De Martino. On y dépeint son parcours des 15 dernières années dans la vallée de Maipo avec le cépage Carmenère. Pour sa première cuvée de Carmenère en 1996, Retamal a choisi de vendanger le 23 mars et il a obtenu un vin qui titrait à 12.3% d'alcool. Un titre alcoolique qui n'existe plus aujourd'hui au Chili pour des vins rouges. Par la suite, Retamal a progressivement repoussé la date des vendanges et le titre alcoolique de ses vins a augmenté en parallèle pour atteindre 14.8% en 2003, avec des vendanges retardées de six semaines et demi et ayant eu lieu aussi tard que le 10 mai. Le fait de repousser autant les vendanges a aussi entraîné le besoin de corriger l'acidité des vins par ajout d'acide tartrique. S'étant rendu à l'extrême, Retamal a ensuite cherché un juste milieu en vendangeant trois semaines plus tôt, soit vers le 20 avril. Cette décision a ramené les taux d'alcool dans la fenêtre des 13-14%, sans besoin de corriger l'acidité. Bien sûr, même dans Maipo il y a des années plus chaudes que d'autres, la date des vendanges peut donc varier d'une année à l'autre pour une maturité similaire du raisin. Mais il est clair que le taux d'alcool est généralement inféodé à la date des vendanges. Si Retamal décidait de nouveau de cueillir ses raisins le 23 mars, le taux d'alcool de son vin retournerait dans les alentours de 12%, comme en 1996.


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jeudi 15 décembre 2011

SUR LE VIF

Pour faire suite à l'information de Nicolas dans le sujet "Un rêve de milliardaire". Voici des liens ici et ici à propos du voyage de Jessica Harnois au Chili en compagnie de trois autres québécois. Rien de neuf pour un "nerd" du Chili comme moi, ça reste à la surface des choses, mais ça pourra intéresser certains amateurs qui suivent ce qui se passe au Chili de moins près que moi. C'est bien de voir une professionnelle reconnue parler positivement des vins de ce pays. Toutefois, j'aurais aimé qu'elle parle plus de producteurs qui font des vins de prix abordable. S'ébaubir devant du Vina Vik de jeunes vignes à 100$ la bouteille, c'est compréhensible jusqu'à un certain point. Ce projet est vraiment particulier et le voir de ses yeux doit être une très belle expérience. Toutefois, le Chili c'est beaucoup plus que ça. Je n'aime pas la hiérarchie vinicole à l'européenne, car pour moi avec le prestige, le prix fort, les gros scores, ça distord tout ce qui est à échelle plus humaine et qui ne joue pas le carte des gros dollars. J'ai peur que Vina Vik devienne le début de ça pour le Chili. Un vignoble de quelques années au milieu de la nature, un vin à 100$ la bouteille en partant, des gros scores, l'amplitude du projet au budget pratiquement illimité et le milliardaire derrière tout ça.  Je n'ai rien contre le fait que ça existe. Je suis même pour car c'est un projet axé totalement sur la qualité. C'est juste que cette maladie, la "dollarite prestigieuse", comme le phylloxéra, avait épargné le Chili jusqu'à maintenant. C'est d'ailleurs pour moi ce qui fait une bonne partie de son charme. Alors d'un point de vue égoïste je voudrais que ça demeure ainsi, même si un projet comme Vina Vik va immanquablement attirer l'attention et frapper l'imagination. Plus ça va et plus le monde du vin semble se polariser entre le modèle grand château bordelais et le modèle minimaliste du genre vin d'artisan amant de la nature. Le vin normal, celui situé entre ces extrêmes et bu par la majorité des amateurs semble maintenant trop commun pour qu'on se passionne à son propos.


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dimanche 11 décembre 2011

SIJNN, 2007, SWELLENDAM, MALAGAS WINE COMPANY




Peter Trafford qu'on connaît ici au Québec pour ses vins de la gamme De Trafford, issus de la région de Stellenbosch, est un des partenaires de ce nouveau projet et en est le vinificateur. Ce vin a été produit à partir de très jeunes vignes plantées en 2004 dans la région de Malagas, près des rives de la rivière Breede. Cette région est située à quelques kilomètres de l'océan. C'est un assemblage inusité composé de Syrah (42%), Mourvèdre (26%), Touriga Nacional (21%), Trincadeira (10%) et de 1% de Cabernet Sauvignon. Différents clones de ces cépages ont été greffés sur une variété de porte-greffes résistants à la sécheresse, ce qui permet de limiter l'irrigation dans cette zone relativement aride. Les raisins sont ramenés par camion réfrigéré aux installation de De Trafford à Stellenbosch pour y être vinifiés. La FA a lieu avec des levures indigènes et la FML en barriques de chêne. Le vin est élevé 18 mois en barriques de chêne français de 225 L et 700 L et 30% du bois utilisé est neuf, totalement dans les grandes barriques de 700L. Le vin n'est pas collé, ni filtré, mais adéquatement sulfité. Il titre à 14.5% d'alcool pour un pH de 3.77. Il est bien sec avec 2.2 gammes par litre de sucres résiduels.

La robe est foncée et opaque. Au nez les arômes sont modérément intenses. On y dénote de la cerise, du fruit noir, des épices orientales et un arôme particulier que j'associe au cépage Mourvèdre et ce n'est pas un arôme phénolé dû aux levures Brettanomyces. En guise de complément on retrouve aussi des notes légèrement vanillées, ainsi qu'un subtil aspect torréfié. En bouche la matière est à la fois dense et généreuse, la structure compacte et le fruité intense. Un trait d'amertume contribue à l'équilibre d'ensemble, alors que des notes épicées viennent enrichir la palette de saveurs. Le milieu de bouche confirme la droiture et la bonne présence du vin, avec tout ce qu'il faut de concentration et aucune impression de lourdeur. La finale est intense et harmonieuse et présente une bonne persistance.

Ceux qui me lisent avec régularité connaissent mon intérêt pour le développement de nouveaux terroirs au Chili. C'est ce même aspect pionnier qui m'a donné le goût de goûter ce vin. Je suis toujours surpris de la qualité qui peut être atteinte lors du premier millésime issu de ces nouveaux vignobles, avec des vignes de seulement trois ans d'âge. Au moment où je complète ce texte je déguste un Chardonnay chilien issu lui aussi de vignes de trois ans, et la qualité est franchement étonnante. Vous aurez donc compris que j'ai bien apprécié ce Sijnn, 2007. Je l'ai apprécié comme un vin à part entière, pas parce qu'il est issu de très jeunes vignes. Je l'ai bu sur trois jours et le premier jour le caractère particulier du Mourvèdre était à l'avant-plan. Cet aspect est disparu les jours suivants et l'assemblage a repris le dessus. Une autre chose que j'ai remarqué avec ce vin, c'est le côté propre de son profil aromatique, sans déviance. Une preuve qu'on peut être un adepte de l'approche peu interventionniste, comme l'est Peter Trafford, et produire des vins qui sont tout de même intègres aromatiquement. Je pense que l'usage raisonné des sulfites y est pour quelque chose. Ceci dit, je demeure dubitatif face à l'apport aromatique des levures indigènes, même dans des vins jeunes comme celui-ci. Quand la fermentation demeure sous contrôle, il n'y a pas vraiment de différence par rapport à ce qui peut être obtenu avec des levures sélectionnées. Ça me semble une prise de risque inutile. Le caractère particulier possible venant des levures indigènes me semble plutôt relever de la perte de contrôle des fermentations, lorsque Sacharomyces cerevisiae ne domine pas l'activité fermentaire comme elle le devrait, et alors il ne faut pas parler de complexité ajoutée, mais plutôt de déviance. Au-delà de ces considérations, ce Sijnn est un vin qu'il vaut la peine de découvrir. À 32$ la bouteille ce n'est pas ce que je considère une véritable aubaine, mais le prix me semble tout à fait honnête par rapport à la qualité offerte. Une belle façon de découvrir ce qui se fait de neuf hors de l'Europe, en évitant les clichés trop souvent associés aux vins du Nouveau-Monde en général.



mardi 6 décembre 2011

Les détenteurs de la vérité

Je suis tombé ce matin sur un autre article délirant du blogueur britannique Jaimie Goode qui décrit qui sont les gens qui sont en mesure de déclarer un vin comme fin et grand. Voici le paragraphe déterminant de son texte:

"I’ve noticed that in recent years a new generation of wine people have emerged who seem to get wine – a group that encompasses winemakers, retailers, critics and agents. They have a more-or-less shared taste, in that they prefer elegance over power, dislike over-ripeness, delight in wines that express a sense of place, aren’t afraid to explore new flavours and lesser known regions, and at the same time respect the classic European fine wines."

Donc, en d'autres termes, pour juger si un vin est grand ou fin, il faut être un professionnel du vin, mais pas n'importe lequel, un professionnel qui souscrit à une certaine vision et à une certaine esthétique du vin.

Ce genre de propos me dégoûte. Jaimie Goode est un blogueur qui est en train de se radicaliser et de s'enfermer dans un carcan idéologique. Mais ce qu'il y a de bien avec les gens sectaires, c'est qu'ils n'ont pas peur de déclarer ouvertement qu'ils pensent posséder la vérité. Au moins cela a le mérite d'être clair. Ordinairement les professionnels du vin ne sont pas aussi directs avec les amateurs. On ressort les clichés. On dit au consommateur que ce qui compte c'est de développer son propre goût. Qu'il n'y a pas de goûts supérieurs à d'autres. Certains de ces professionnels du vin sont sincères lorsqu'ils y vont de ces affirmations. Mais une bonne partie d'entre eux pensent au contraire qu'il faut apprendre le vrai goût, et que seulement certains chemins y mènent, en autant qu'on les fréquentent suffisamment. Ce qui est vrai pour des professionnels l'est aussi pour certains amateurs qui pensent avoir assez fréquenté les passages obligés pour pouvoir distinguer ce qui est vraiment bon et vraiment fin de ce qui ne l'est pas. Ces gens sont convaincus de faire partie d'une caste d'initiés qui a gagné son droit d'entrée au Saint des Saints de la chose vinique. Ces gens déconsidéreront l'opinion de celui qu'ils jugeront comme un non initié. Celui qui selon eux n'aura pas suffisamment parcourus les chemins prescrits. Ceux qui donnent le droit d'entrer dans le groupe des détenteurs de la vérité.

Personnellement, je n'ai jamais eu envie de faire partie de ces Chevaliers de Colomb de la bouteille, et de passer leurs rites d'initiation. Je n'ai jamais eu envie de montrer patte blanche et de me conformer à leurs diktats. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai créé ce blogue. Pour pouvoir exprimer ma pensée en toute liberté, sans l'imposer et sans prétendre que je détiens la vérité absolue. J'ai créé ce blogue parce que je fréquente souvent d'autres chemins que les fameux passages obligés, et que cela me permet parfois d'avoir une perspective différente des choses, où les effets de contraste sont inversés. Finalement, je tiens un blogue parce qu'il est réconfortant de savoir que ceux qui me lisent le font par choix, et qu'ainsi, eux aussi exercent leur liberté. Si j'étais un détenteur de la vérité, je ne tiendrais pas de blogue, car on sait bien que toute vérité n'est pas bonne à dire...


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