mercredi 30 novembre 2011

La prix d'une bouteille de vin est-il toujours le reflet de la qualité du liquide qu'elle contient?

Dans le passé on m'a souvent reproché d'écrire que certains vins chiliens qui m'avaient plu étaient aussi bons que des vins français vendus deux fois plus chers. C'est donc avec amusement que je suis tombé sur ce petit texte à propos de Cabernet Sauvignon, Max Reserva, 2009, Aconcagua, Vina Errazuriz. La personne qui a écrit ça est plus généreuse que moi, elle dit que ce "Max Reserva" vaut des vins vendus de deux à cinq fois plus chers, en se basant sur un prix de 20.70$. Ce vin est actuellement disponible à la SAQ pour 18.95$. Certains penseront qu'une telle affirmation manque de sérieux, pour ma part je pense qu'elle est parfaitement justifiée. J'ai ouvert une bouteille de ce vin, du millésime 1999, il y a deux semaines et je suis convaincu qu'en pure aveugle plusieurs auraient été totalement confondus. Le vin montrait un superbe profil de Cab mi-évolué, ayant perdu sa typicité chilienne de prime jeunesse pour se recentrer sur les caractéristiques du cépage. Il aurait facilement pu être pris pour un beau vin de Bordeaux.

mardi 29 novembre 2011

PINOT NOIR, GRAN CUVÉE, 2010, MUY ALTO MAIPO, VINA WILLIAM FÈVRE




J'ai ouvert ce vin dimanche passé et en le dégustant je suis tombé sur un article où William Fèvre exprime son appui au Front National de Marine LePen, tout en disant du même souffle qu'il est parti faire du vin au Chili de « Monsieur » Pinochet, au début des années 90, à cause de l'arrivée au pouvoir des socialistes en France. Disons que c'est une mauvaise coïncidence pour ouvrir une première bouteille ayant son nom sur l'étiquette, et ça mets dans de mauvaise dispositions pour la suite. Il faut dire qu'au strict plan vinique, je n'étais déjà pas dans les meilleures dispositions. Ce vin est déjà sur les tablettes de la SAQ depuis quelques millésimes et je ne l'avais jamais acheté auparavant car je ne voyais pas l'intérêt de faire du Pinot dans la chaude vallée de Maipo, même dans sa partie moins chaude du Haut-Maipo (Alto Maipo). Toutefois, des lectures récentes ont attisé ma curiosité à propos de ce producteur qui n'a aujourd'hui plus rien à voir avec William Fèvre, sauf son nom qui fut conservé, probablement pour une question de prestige dans un but commercial. Disons qu'avec la récente prise de position du bonhomme, l'image et le prestige viennent d'en prendre un coup. Ça incitera peut-être l'ancien partenaire chilien de M. Fèvre, la famille Pino qui a racheté ses parts dans l'entreprise, à changer de nom. À moins que ceux-ci partagent ses vues politiques et soient des admirateurs de Pinochet. Toujours est-il que pour revenir au vin, c'est lorsque j'ai appris la localisation exacte du vignoble d'où est issu ce vin, et l'implication de Pedro Parra, dans la réévaluation de ce qui avait été fait depuis 20 ans, que j'ai voulu donner une chance à ce vin. Le vignoble en question est situé dans le « Muy Alto Maipo », soit le très haut Maipo, situé 400 m plus haut que l'Alto Maipo et encore plus près des montagnes, sur les pentes d'un canyon enserrant la rivière Maipo. Malgré cela j'avais encore des doutes, car Parra a décidé de greffer du Cabernet Sauvignon sur les racines d'une partie du Chardonnay et du Pinot Noir qui y étaient déjà plantés. Si du Cab peut murir à cet endroit, ce n'est pas bon signe pour le Pinot Noir cultivé pas très loin, même si la nature exacte du sol peut être différente. Il n'y a rien comme goûter pour se faire une idée plus claire. Voici donc mes impressions sur ce vin où je l'avoue j'étais un peu biaisé d'avance.

La robe est de teinte rubis passablement translucide. Le nez présente les caractéristique de base du cépage avec des arômes de fraise et de cerise auxquels s'ajoutent des notes doucement épicées et légèrement torréfiées, ainsi qu'une légère pointe fraîchement végétale. En bouche, l'attaque surprend par sa vivacité et l'intensité de ses saveurs, ainsi que par une présence marquée de l'amertume. Ce surplus amer nuit à l'équilibre général du vin qui n'a pas assez de fruit et de matière pour donner équitablement le change. Ce qui fait qu'on se retrouve avec une vin intense, mais pas vraiment agréable. La finale n'arrange rien à l'affaire, l'amertume y gagnant encore en importance.

Je n'ai pas l'habitude de parler ici des vins que je n'ai pas aimés. Si j'ai décidé de commenter celui-ci, c'est qu'il me semble un exemple intéressant pour illustrer l'évolution du Chili vinicole depuis le début de sa révolution qualitative axée sur le développement de nouveaux terroirs plus frais. Comme je le disais à la fin de mon introduction, j'étais biaisé d'entrée face à ce vin, mais après m'être tapé la bouteille en entier sur trois jours, je pense que mon jugement sur celui-ci est tout de même solide, même s'il confirme mes appréhensions de départ. Je trouve que ce vin est un bel exemple de ce qui n'allait pas dans l'ancien Chili où la facilité et la prise de risque minimale étaient de mise. Même si dans ce cas-ci planter du Pinot dans les hauteur de la vallée de Maipo était déjà mieux que de le faire sur le plancher de celle-ci. Il n'en reste pas moins que ce choix était inadéquat. Cela ne veut cependant pas dire que le terroir choisi était mauvais, ce sont les cépages bourguignons qui y ont été plantés qui n'étaient pas appropriés. En ce sens, j'aimerais bien goûter le Cabernet Sauvignon qui est aujourd'hui produit à cet endroit, mais pour moi il est clair que ce terroir n'est pas compatible avec la production de Pinot Noir de grande qualité. Surtout quand on pense que ces vignes de Pinot ont de l'âge, ce qui est relativement rare au Chili pour ce cépage. On a beau vinifier méticuleusement les fruits avec le souci d'en tirer le meilleur vin possible. Il n'y a pas de substitut à la qualité de la matière première, et cette qualité est indissociable d'un mariage approprié entre le cépage et le terroir. Cette cuvée qui n'a de grand que le nom en est un exemple probant. Le vin n'est pas totalement mauvais, c'est buvable, mais sans plus. Il ne faut surtout pas se baser sur ce vin pour se faire une idée du potentiel du Pinot Noir au Chili. Les bases vinicoles de l'aventure chilienne de William Fèvre étaient aussi boiteuses que sa pensée politique. Que peut-on greffer sur des racines d'extrême droite?

lundi 28 novembre 2011

SUR LE VIF

Par l'intermédiaire de Vin Québec je suis tombé sur un texte lumineux signé Michel Bettane. Ça fait du bien de lire un ténor du journalisme vinicole remettre ainsi les pendules à l'heure, et venant d'un français c'est encore plus méritoire. Je l'ai déjà écrit, et je le répète, la France est le plus grand pays vinicole et une source d'inspiration pour le reste du monde. Mais à cause qu'on lui a tout emprunté (cépages, techniques de culture et de vinification), à part son sol, il s'est développé en France un discours extrémiste sur la notion de terroir. On a voulu tout porter au crédit de celui-ci car c'était la seule chose inamovible. Une manière de dire vous pouvez tout nous prendre, mais vous ne pourrez jamais nous rejoindre ou nous devancer, car c'est notre géographie qui est la source essentielle de la qualité française. Bien sûr ce discours est faux, la qualité des bons vins français ne tient pas qu'au lieu où ils sont produits. Il y a les hommes, l'expérience et le savoir-faire qui en découle. Là comme ailleurs, il y a la possibilité de faire des choix et de créer des choses différentes à partir de la même base.


ARCHIVES


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samedi 26 novembre 2011

COYAM, 2007, COLCHAGUA, EMILIANA ORGANICO




Ce vin est un assemblage original comprenant 38% de Syrah, 21% de Cabernet Sauvignon, 21% de Carmenere, 17% de Merlot, 2% de Petit Verdot, et 1% de Mourvedre. C'est un des premiers vins certifié biodynamique au Chili. Alvaro Espinoza le pionnier du bio et de la bioD est consultant pour l'élaboration de ce vin. Les millésimes précédents se contentaient d'être certifiés biologiques. Il est toutefois important de noter que malgré la biodynamie le vin est adéquatement sulfité.

La robe est de teinte rubis foncé opaque. Le nez est spectaculaire à l'ouverture, complexe et très expressif. Il déploie un admirable mélange d'arômes fruités, épicés, floraux, végétaux et torréfiés. La totale! Avec l'aération les choses se calment progressivement et l'ensemble olfactif se révèle alors avec plus de retenue. Les arômes de cerise et de cassis sont de très belle qualité et se marient très bien aux notes épicées évoquant la vanille, le clou de girofle et la feuille de laurier. À cela s'ajoute une touche de poivron vert et de menthol, ainsi qu'un léger trait chocolaté. La bouche reflète bien dans ses saveurs la richesse aromatique perçue au nez. Le vin a de la présence et un bel équilibre, avec une matière généreuse et éclatante. Il est très goûteux, sans tomber dans l'excès d'intensité. La structure demeure quand même assez compacte et la texture tannique est raffinée. En finale, le caractère épicé gagne en importance sur une très bonne persistance.

Mon premier contact avec ce Coyam, 2007, remonte à il y a maintenant deux ans lors de la dégustation annuelle de « Vins du Chili ». Il me semble aujourd'hui avoir perdu de son gras de bébé, se montrant sous un aspect plus dense, mais avec toujours une remarquable richesse aromatique. Il montre une complexité qui selon moi, pour un vin si jeune, est l'apanage des vrais vins d'assemblage. Je veux dire par là les vins d'assemblage où aucun cépage ne domine l'ensemble. Bien sûr, quand un vin biodynamique est d'une telle qualité, on se demande toujours si cette philosophie ésotérique n'est pas valable au fond. Curieusement, pour un excellent vin élaboré hors du cadre biodynamique, on ne se pose jamais cette question. Le mérite est alors de facto attribué au terroir et à la compétence du producteur. Je pense que dans ce cas-ci, ce n'est pas différent. J'ai goûté des vins non biodynamiques élaborés par Alvaro Espinoza, ça remonte au temps où il œuvrait encore chez Vina Carmen, et ils étaient la plupart du temps très bons. Donc, malgré l'excellence de ce Coyam, 2007, je ne deviendrai pas pour autant un croyant. Je préfère y voir le résultat du bon travail des hommes qui ont élaboré ce vin. Pour revenir au vin, en plus d'être succulent dans sa livrée de jeunesse, il me semble posséder tout ce qu'il faut pour bien évoluer en bouteille pendant de nombreuses années. Ce vin fait partie des nombreuses cuvées issues de la vallée de Colchagua qui en offrent autant que les super-cuvées très coûteuses, mais à une fraction du prix. La vallée de Colchagua excelle à produire ce type de vin (Ninquén (Montgras), Dona Bernarda (LFE), A Crux (Sutil), Vertice (Ventisquero), Quinta Generacion (Casa Silva), Primus (Veramonte).



samedi 19 novembre 2011

La nature récalcitrante

Le vin n'est pas un produit naturel. C'est une œuvre humaine. J'ai longuement expliqué ma position à ce sujet dans un texte récent. C'est donc avec un certain amusement que j'ai lu ce matin le compte-rendu que fait Bill Zacharkiw dans The Gazette de ses péripéties dans le but d'élaborer un vin de Gamay "naturel". On peut y voir qu'au-delà des principes, l'homme doit travailler très fort pour seulement espérer atteindre son but, et que la nature, pour sa part, lorsque laissée à elle-même, peut très mal travailler. Néanmoins, bravo à Bill pour l'effort, mais surtout pour avoir eu l'humilité de rapporter son aventure. Meilleure chance l'année prochaine!

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vendredi 18 novembre 2011

Autre chose que des notes de dégustation

Ces derniers temps j'ai quelque peu délaissé les comptes-rendus de dégustation pour écrire plus de textes sur différents aspects du vin. Le format du blogue a tendance à envoyer aux oubliettes les écrits passés. Après un peu plus de deux ans à écrire ici, j'ai pensé référencer les liens vers ces textes en un récapitulatif. Un travail plus long que je ne le pensais au départ, mais un coup parti... Moi qui au début craignait que ce blogue ne devienne rien d'autre qu'une suite de notes de dégustation. Je me suis aperçu en faisant cet exercice que j'avais écrit bien d'autres choses. Bien sûr il y a des thèmes récurrents, voire des idées fixes dans certains cas. Mais mon but avec ce blogue n'était pas d'écrire sur tout ce qui a rapport au vin, mais bien d'aborder ce qui m'intéresse et me préoccupe.


La garde du vin: Pourquoi insiste-t-on sur la température de 12°C?

Le vin: produit de civilisation

Quand le Chili fait perdre la raison (AJOUTS)

Phobie des sulfites? Buvez des vins plus âgés

Déficit d'image: le problème non résolu du Chili

Le Chili surprend encore à l'aveugle

La fatalité des Bretts...

Quand la technologie et la nature se rejoignent

Trouver l'Eldorado

Le vin chilien peut-il vieillir? (suite)

Aborder le vin autrement

Le pouvoir de l'étiquette et des préjugés

Vin en bouteille microbiologiquement actif et goût de bouchon: Un lien est-il possible?

Vin bouchonné: Pas toujours facile de s’y retrouver

La table est-elle vraiment l'endroit où le vin est à son mieux?

Pascal Marchand, Bio Bio et le Pinot

Pour amateurs de hors piste

Un mois sans vin

Le ciment haut de gamme

Qualité et Prix: l'exemple chilien

Qualité et Prix

Et si l'amateur était la meilleure référence pour l'amateur...

Dégustation et précision

La vérité n'est pas dans le vin

La levure génétiquement modifiée canadienne

SAQ et promo vins 90+ de James Suckling

Chardonnay: Ignorer la Bourgogne pour y aller avec l'Australie

Bordeaux, la hiérarchie, Michel Rolland et l’oenologie moderne...

Bordeaux, la hiérarchie, Michel Rolland et l’oenologie moderne... (Part II)

Sortir de mes sentiers battus

La spécificité canadienne en matière de commerce du vin

Le bon goût peut-il être subjectif?

L'Angleterre: Le tremplin du Chili vers la reconnaissance

Cap au nord: Limari et Elqui

2010: Un point tournant pour le Chili vinicole?

Importation privée de vins chiliens

Et si le phylloxéra disparaissait demain...

En matière de vin, le Québec est-il vraiment francocentriste?

En matière de vin, le Québec est-il vraiment francocentriste? (Part II)

Le vin chilien peut-il vieillir?

Sucre omniprésent dans les vins de Nouvelle-Zélande???

Le Nouveau-Chili, c'est aussi du vin de plus en plus féminin

Les attentes influencent l'expérience sensorielle lors de la dégustation du vin

Sous-représentation des vins chiliens au Canada: l'exemple britanno-colombien

Chili-Argentine: Deux réalités

Vins fabriqués et vins sérieux

L'exemple britannique

L'exemple britannique, encore

Très longue réponse à Olivier

Arômes de Brettanomyces, reflet du terroir?

Les vins blancs de l’hémisphère sud méritent plus de respect

Match comparatif de la revue CELLIER sur les bordeaux 2006

Brettanomyces et Syrah: Un élément de réflexion

Le goût québécois et l'approche européenne

Vins issus de vignes greffées et non-greffées: Une comparaison intéressante

Notes et grands millésimes

L’approche européenne

La garde du vin: Entre bonification et possible mythification

Qu’est-ce qu’un vin de garde?

Château Musar rejeté par la SAQ: Petite réflexion

Un rêve de milliardaire

Le Chili impressionne au premier concours mondial du Sauvignon

Vin et expertise

Quelle est la plus pure expression du terroir?

Malbec: Quand l'Argentine influence Cahors

Le vin sans identité

Pour mieux connaître le Chili vinicole

Brettanomyces: Un défaut?

L'importance de la dégustation à l’aveugle

Vin et économie

Vin et économie (suite)

Du ridicule du système de notation sur 100

Début de hiérarchie en Nouvelle-Zélande

Syrah, Montes Alpha, 2007 au banc d'essai du magazine CELLIER de la SAQ

Bill Zacharkiw de retour du Chili

La maturité croissante du Chili

Le vin ennuyant

Petites précisions sur mes notes de dégustation

La Syrah au Chili

Le goût: Une question de choix?

Carmenère et cuisine indienne

Pourquoi j'aime le Chili (petite suite)

RQP et garde du vin

Pourquoi j'aime le Chili

Dégustation Chili ou comment je me suis aveuglé!

Viticulture et sélection clonale au Chili

Faire du neuf avec du vieux

samedi 12 novembre 2011

La garde du vin: Pourquoi insiste-t-on sur la température de 12°C?

Le titre de mon blogue ne tient pas tant de mon intérêt pour les vins de l'hémisphère sud que de mon sentiment de ne pas percevoir le merveilleux monde du vin de la même façon que la majorité des gens qui s'y intéressent. Il faut dire que je suis un scientifique, ce n'est pas nécessairement un facteur déterminant pour orienter une vision, mais ça fait quand même partie de l'équation de base. J'ai une formation en biochimie et je travaille en chimie de synthèse de molécules bioactives dans le domaine pharmaceutique. Voilà qui devrait tout expliquer et finir d'achever ma crédibilité pour ceux que la science révulse. Toujours est-il qu'il y a des liens à faire entre le milieu pharmaceutique où j'évolue et le monde du vin. Dans ce milieu, pour tester l'efficacité d'un candidat médicament, il faut généralement procéder à des études cliniques à double insu, contrôlées par placebo. C'est-à-dire que celui qui administre, et le patient qui reçoit, ignorent tous deux si ce qui est administré est le candidat médicament, ou un placebo. Cette pratique est fondamentale dans ce milieu et pour moi il y a un parallèle à faire entre celle-ci et la dégustation en pure aveugle du vin. Le cerveau demeure de loin l'organe le plus complexe et le moins bien compris, mais il est très puissant et exerce une forte influence sur l'ensemble de la physiologie humaine, la plupart du temps à l'insu de notre conscience, mais parfois à cause de cette conscience. Un autre point très important dans le milieu pharmaceutique est la stabilité des médicaments dans le temps. Des études longues et poussées doivent être menées sur la stabilité des médicaments avant leur mise en marché. C'est un point très important pour s'assurer de la sécurité et de l'efficacité de ce que le patient va recevoir. Ces études de stabilité sont menées sur une large plage de températures, avec un suivi dans le temps, tout cela pour bien comprendre les mécanismes de dégradation et pour déterminer la température idéale de conservation d'un médicament donné. Là aussi il y a un parallèle à faire avec le vin. La stabilité de celui-ci étant reliée à sa nature et à ses conditions de garde, la plus déterminante étant la température.

Avec mes connaissances en stabilité pharmaceutique, et en ajoutant celles sur la stabilité des produits chimiques gardés au laboratoire. J'ai toujours été surpris de la température de garde fortement suggérée pour le vin de 12°C. Ma surprise ne venait pas tant de la valeur de cette température, mais de l'importance critique qu'on y accordait. Selon mon expérience 12°C me semblait un bon choix de température, mais ça ne m'était jamais apparu comme un élément critique en terme de valeur précise. D'un point de vue strictement chimique, la différence entre une garde à 12°C et une garde à 20°C, par exemple, devrait être minime. C'est toujours ce que j'ai pensé et je suis convaincu de la validité de mon point étant donné que je garde mes vins dans une cave passive où la température monte parfois jusqu'à 22°C durant la canicule estivale. Je dois toutefois préciser que la majorité de ces vins sont filtrés et adéquatement sulfités. Ceci dit, au fur et à mesure de ma progression dans le monde du vin, de mes lectures, mais surtout de mes expériences de dégustation, en particulier avec les vins européens de gamme supérieures. J'ai compris l'importance accordée au fameux 12°C et la raison pour laquelle plusieurs en parlent comme d'une nécessité. Cette température est nécessaire non pas pour ralentir l'évolution chimique des vins, mais bien pour freiner l'activité biologique des micro-organismes vivants qui dans bien des cas sont encore présents dans le contenu de la bouteille. Je dirais même que dans ces circonstances, 12°C est une température légèrement insuffisante. Quelques degrés de moins seraient encore mieux. Aussi, dans ces conditions, on comprend mieux la tradition européenne du vin très sec, les sucres résiduels pouvant servir de nutriment pour permettre l'activité des bactéries et levures vivantes toujours présentes dans de nombreuses bouteilles.

Si je parle de ce sujet aujourd'hui, c'est que dans mes lectures récentes, suite à la discussion concernant mon texte précédant. Je suis tombé sur un article très intéressant qui relate des résultats à propos de la présence de micro-organismes dans le vin en bouteille. Toutes les bouteilles analysées dans cette étude, qui comprenait des millésimes allant de 1909 à 2003, contenaient des levures et/ou des bactéries. Fait particulièrement intéressant, un type de levure s'est révélé présent dans toutes les bouteilles analysées, vous l'aurez peut-être deviné, il s'agit bien sûr des Brettanomyces! Encore et toujours ces fameuses levures qui ont si longtemps donné le fameux goût de terroir aux vins européens réputés! Avec les modes actuelles de la non filtration et du « naturel », il est certain que cette situation perdure dans beaucoup de vins, les moins industriels étant les plus susceptibles. L'ironie c'est que ce sont ces vins qui sont généralement gardés par les amateurs. Aussi, avec la diabolisation des sulfites, qui se traduit souvent par une réduction des doses ajoutées, et parfois par l'élimination complète de ce produit pour les amants de la nature, les vins contenant toujours du matériel fermentaire vivant sont encore moins stables sans l'effet bactériostatique des sulfites. C'est une raison de plus pour les garder à une température très fraîche. La réduction des doses de sulfites contribue aussi aux problèmes d'oxydation prématurée des vins. À ce sujet, il est important de noter que la garde à 12°C, ou moins, aide à garder des sulfites plus longtemps dans la bouteille, et ce faisant contribue à ralentir l'oxydation du vin. Comme je le mentionnais dans un texte précédant, les sulfites disparaissent graduellement du vin en bouteille avec le temps. Plus faible est la température du vin et plus lente sera cette dispartion, simple principe de physico-chimie. Pour les vins sulfités non stériles, la garde au frais a donc le double avantage de ralentir l'activité micro-biologique et l'oxydation du vin.

Contrairement à l'image que je peux donner, je ne suis pas dogmatique en matière de vin. Chacun est libre de faire ce qu'il veut et d'avoir ses préférences. Par contre, je suis pour la divulgation de l'information pertinente permettant à l'amateur averti de faire des choix selon ses préférences. Je suis aussi pour l'honnêteté dans le discours. J'aime appeler un chat, un chat, mais c'est malheureusement très rare dans le monde du vin ou on préfère souvent enrober les choses d'une couche de mystère. La fameuse magie du terroir qu'on nous sert à toutes les sauces, très peu pour moi. Quand j'achète du yogourt, je sais qu'il contient des bactéries vivantes. Comme acheteur de vin, j'aimerais aussi le savoir car la présence de micro-organismes vivants dans une bouteille de vin a une influence déterminante sur ses propriétés face à la garde, et sur le profil aromatique qu'elle donnera à terme. C'est une information qui me semble fondamentale dans une optique de garde, mais dont pratiquement personne ne parle.


Article précédant relié à celui-ci


Brettanomyces bruxellensis : Etude Métabolique, Cinétique et Modélisation. Influence des facteurs environnementaux


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dimanche 6 novembre 2011

Le vin: produit de civilisation


Le monde du vin est un monde particulier. À cause de l'imprécision des sens olfactif et gustatif on peut dire à peu près n'importe quoi à propos d'un vin sans que ce soit facilement vérifiable pour le consommateur. Le vin devient ainsi une matière opaque à laquelle on peut prêter toutes les vertus ou tous les vices. On peut aussi invoquer de nombreuses raisons, et parfois les plus saugrenues, pour justifier ces qualités et ces défauts allégués. Pour l'amateur il est donc souvent difficile de distinguer le vrai du faux, le farfelu de ce qui est plausible et c'est pourquoi l'étiquette et les scores sont si importants dans ce monde. Cette relative difficulté à voir au travers d'un vin ce qui le constitue vraiment, et ce qui a mené à sa constitution, ouvre la porte à bien des discours justificatifs. L'incapacité de nos sens à lire complètement dans le vin ce qu'il est, et aussi le parcours ayant mener à ce qu'il est, permet d'y projeter des valeurs qui bien souvent sont étrangères au vin lui-même. De cette façon, le vin peut se retrouver relié à des visions philosophiques, voire politiques et idéologiques. Ce liquide peut ainsi être instrumentalisé pour défendre une conception plus large du monde, de la société et de l'être humain. Avec la bonne étiquette et un discours approprié, bien claironné, c'est fou le nombre d'idées qu'on peut mettre dans une bouteille de vin.

Parlant de discours idéologique bien claironné, il ne se passe pas une semaine dernièrement sans que je ne tombe sur un article à propos du vin dit naturel. Chaque fois que j'entends parler de vin "naturel" ça m'irrite, car bien sûr cette expression est un bel exemple des idées qu'on peut artificiellement mettre dans une bouteille. Le vin n'est pas un produit naturel. Le vin naturel n'a jamais existé, même pas sous forme d'intermédiaire instable menant au vinaigre. Un produit naturel est un produit venant directement de la nature. Ce n'est bien sûr pas le cas du vin. Tout le monde sait ça, ou à tout le moins, tout le monde devrait le savoir. Mais on sait aussi qu'à force de répéter un mensonge bien enrobé, on peut parfois arriver à le faire passer pour une vérité, et dans un monde du vin qui préfère souvent le rêve à la réalité, il y a des couleuvres qui sont plus faciles à faire avaler que d'autres. Je dirais même que pour un certain auditoire branché, il y a un fort appétit pour ce genre de couleuvres teintées de romantisme. Toutefois, ce qui m'embête le plus dans ce mouvement idéologique, c'est qu'en qualifiant certains vins de « naturels », on laisse sous-entendre que ceux auxquels on n'appose pas cet adjectif trompeur auraient quelque chose d'artificiel et de forcément moins bon. Il faut bien comprendre que le discours à la base de ce mouvement laisse aussi sous-entendre que ce qui vient de la nature est nécessairement bon, alors que ce qui a été touché par le main de l'homme est de ce fait plus ou moins dégradé. C'est là bien sûr un discours profondément misanthrope et paradoxal, surtout quand on pense que le vin est fait et bu par des hommes.

Ce discours prônant les vertus du naturel en matière de vin m'apparaît étroitement lié à une frange extrémiste du mouvement écologique et environnemental actuel où l'activité humaine est souvent mise en opposition avec l'intégrité de la nature. En écoutant ce discours environnementaliste, on en vient parfois à se dire que la civilisation est une bien mauvaise chose et que le seul homme qui avait vraiment sa place sur cette planète était le chasseur-cueilleur d'avant la révolution néolithique. Dans cette vision des choses, la nature ne peut être que bonne et bienveillante. Il y existe un équilibre que l'action civilisatrice de l'homme vient briser. Pourtant, la nature n'est pas toujours bonne, elle est même souvent dure et cruelle. Cependant, il est vrai qu'il y existait à l'origine un certain équilibre que la quête de l'homme pour s'extirper de sa condition animale a rompu. La civilisation est un mouvement de l'humanité contre sa condition naturelle. C'est un long geste de révolte à l'encontre de l'équilibre naturel primitif, contre une condition qui fut jugée inacceptable. Par la civilisation, l'homme a entrepris de se soustraire, autant qu'il le pouvait, aux contraintes naturelles. Pour ce faire, il a tenté de comprendre la nature pour en arriver à posséder un certain contrôle sur celle-ci. Une des premières manifestations de cette volonté de contrôle sur la nature a été le développement de l'agriculture. L'agriculture est la base de la civilisation et c'est clairement une prise de contrôle par l'homme sur une partie de la nature. Avec l'avènement de l'agriculture, l'équilibre naturel primitif était résolument brisé. Aucun produit agricole ne peut donc être qualifié de naturel car il est le fruit du contrôle de l'homme sur la nature. Le vin quant à lui est plus qu'un simple produit agricole, puisqu'il est issu de la transformation par l'homme d'un produit agricole, le raisin cultivé. L'élaboration du vin représente le premier contact de l'homme avec ce qu'on appelle aujourd'hui la biotechnologie et sans outils techniques il n'y a pas de vins possibles. Le vin est donc une création humaine où l'homme a mis la nature à son service en la contrôlant de diverses façons.

Et oui, n'en déplaise à certains, le vin et la technologie sont intimement liés, même dans ce qu'on appelle le vin naturel. Il est difficile pour moi de comprendre pourquoi le mot nature est plus séduisant pour certains que le mot technologie. La technologie relève de l'intelligence humaine, du savoir et de la science. Le technologie procure à l'homme les outils variés qui sont à la base des métiers et des arts. La technologie est aussi le vecteur de l'acquisition de nouvelles connaissances et du développement. Bien sûr, la technologie c'est aussi une progression des possibilités humaines, bonnes ou mauvaises. La technologie donne du contrôle et aussi de la responsabilité à l'homme. C'est peut-être pourquoi certains préfèrent se laver les mains dans la neutralité naturelle. Comme la nature ne choisit rien, qu'elle se contente d'être et d'évoluer au gré du hasard, elle ne peut se tromper, et surtout, elle ne peut être déclarée coupable. Vous l'aurez compris, je ne suis pas de ceux qui ont une vision idyllique de la nature, et pour rien au monde je ne voudrais me retrouver dans la peau d'un chasseur-cueilleur du paléolithique, balloté et effrayé au gré d'une nature mystérieuse et indifférente. Je ne suis pas du côté de la nature, mais du côté de l'homme, de sa conscience et de son angoisse existentielle. C'est cette conscience de lui-même, et de sa condition, qui l'a poussé à essayer de s'en sortir graduellement, de génération en génération. La civilisation depuis son origine relève de cette impulsion humaine visant à comprendre et à maîtriser la nature, et ce n'est que dans cette perspective plus détachée que pour moi la nature devient intéressante et fascinante. Je sais que le vin est un détail dans cette vaste épopée motivée par des éléments bien plus fondamentaux, mais en même temps, je trouve important comme amateur de vin de bien comprendre qu'il fait partie de ce mouvement de civilisation. C'est d'ailleurs pour moi ce qui le rend si intéressant. C'est justement parce qu'il est issu du génie humain qu'il est le liquide le plus complexe et le plus intéressant au monde. Un liquide tellement plus intéressant que ce que la nature laissée à elle même peut produire. J'ai donc du mal à comprendre le mouvement obscurantiste qui voudrait ramener son élaboration à sa forme la moins maîtrisée. Je ne prêche pas ici pour l'usage maximal et irraisonné de la technologie et pour l'interventionnisme à outrance. Je prêche pour le savoir et son bon usage, et surtout, j'en ai contre l'idée que ce qui est purement naturel est supérieur à ce que le contrôle de la nature par l'homme peut donner.

Pour revenir à un niveau plus terre à terre, tout en poursuivant dans le même sens, je suis toujours étonné de lire des propos à l'encontre des levures sélectionnées. Je me demande toujours pourquoi ceux qui sont contre la sélection du matériel micro-biologique pour la fermentation, ne sont pas aussi contre la sélection du matériel végétal et sa culture ordonnée. Si les levures sauvages laissées à elles-mêmes sont si fondamentales pour l'obtention d'un vin de meilleure qualité, alors pourquoi n'utilisent-on pas des vignes sauvages non sélectionnées, franches de pied, sans porte-greffes hybrides sélectionnés? Ceux qui connaissent vraiment la viticulture le savent. L'identification, la sélection et la bonne connaissance des propriétés du matériel végétal sont des éléments fondamentaux de la viticulture de haute qualité. Alors si la connaissance et la sélection du matériel végétal sont si importantes au vignoble pour pouvoir en mener au mieux la culture, pourquoi la sélection et la connaissance des propriétés du matériel micro-biologique pour le contrôle adéquat des fermentations ne serait pas tout aussi important? Des fermentations bien contrôlées, avec un matériel micro-biologique adéquat, sont le meilleur moyen de révéler le terroir d'où un vin est issu en évitant les déviations et les interférences aromatiques. Pour arriver à ce contrôle nécessaire des processus fermentaires, et pour l'obtention d'un vin micro-biologiquement stable en bouteille et apte à bien vieillir, l'usage des sulfites est aussi nécessaire. L'usage de ce produit est diabolisé par le mouvement du vin "naturel". Pourtant, si le vin naturel n'existe pas, le dioxyde de soufre naturel lui existe. La fermentation du raisin en génère et sous sa forme de sulfite il n'est pas plus dangereux pour la santé que du sel de table. De plus, il disparaît du vin après une garde en bouteille de 5 à 10 ans. Il est donc difficile de comprendre le rejet d'un outil si utile autrement que par l'angle idéologique.

Personnellement, je n'aime pas croire. Je préfère savoir. En ce sens, l'homme, grâce au savoir, a la capacité de juger des choses et de moduler son comportement en conséquence. Le mauvais usage du savoir et de la technologie par certains ne devrait pas discréditer le savoir technique. L'essence même de la vie réside dans l'aspect relatif des choses et dans la possibilité de faire des choix. Pour moi adhérer au dogme séduisant et simpliste du naturel bienveillant est une capitulation, une abdication de la pleine capacité créatrice de l'homme. Ceci dit, même lorsqu'on l'affuble de naturel, le vin demeure une création humaine, et comme l'homme il peut être bon ou mauvais. Mais au-delà de tout, le vin est un produit de civilisation, un symbole de la relation tourmentée de l'homme avec sa condition naturelle.

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mardi 1 novembre 2011

Quand le Chili fait perdre la raison


Une autre controverse à propos des résultats des dégustations à l'aveugle organisées par Eduardo Chadwick pour tenter de démontrer que ses vins font partie de l'élite mondiale. C'est le blogueur britannique Jamie Goode qui saute un fusible cette fois à ce sujet, allant jusqu'à dire que les dégustateurs impliqués dans ces exercices s'étaient trompés, qu'ils avaient un mauvais goût. Il s'en prend aussi au fait que les juges étaient des « Master of Wine » et remet en doute leurs qualités de dégustateurs. Le « Master of Wine » est une qualification britannique très difficile à obtenir.

Je suis toujours surpris de voir l'antagonisme que peuvent susciter les vins chiliens lorsqu'ils osent prétendre à autre chose qu'au statut de bons petits vins pas chers. Ce type de dégustation est bien sûr un outil imparfait. C'est l'arme du pauvre en prestige. Le but n'est pas de démontrer une supériorité absolue des vins de M. Chadwick face à des noms très renomés. Le but est de démontrer que ses vins font partie de l'élite mondiale et que le Chili a la capacité de produire ce type de vins. Rien de plus. Rien de moins.


Résultats dégustation Hong Kong

Un autre lien où un des dégustateurs y va de ses commentaires sur les vins. Ses deux vins préférés: Sena 1995 et Sena 1997. J'aime bien ses commentaires sur ces deux vins. Ça confirme ce que je me tue à répéter sur le potentiel de garde des rouges chiliens.

Finalement j'ai trouvé un lien à propos de la dégustation chilienne, en espagnol mais facile à traduire sur Google translate. Les juges étaient 17 "Master of Wines" britanniques. Sena 1997 a terminé premier, suivi de Sena 1995, Latour 1988 et Haut-Brion 2000. Je pense que l'argument de l'âge des vins est invalidé. Ça démontre aussi un attrait des juges pour les vins de profils évolués.


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