lundi 28 février 2011

PINOT NOIR, 20 BARRELS, 2008, CASABLANCA, VINA CONO SUR



Voici le deuxième vin de mon petit spécial Pinots chiliens. Vina Cono Sur, une filiale de Concha y Toro, a été un pionnier au Chili dans la culture de ce cépage, mais malheureusement, pendant longtemps sur des terroirs totalement inapropriés, comme la chaude vallée Colchagua où sont situés le siège social et les chais de vinification de la maison. En ce sens, le parcours de ce producteur est le reflet de celui de l’industrie vinicole chilienne dans son ensemble qui a pris du temps à réaliser l’importance d’un bon couplage cépage-terroir pour l’obtention de vins de qualité. Et dans le cas du Pinot Noir, ce mariage est d’autant plus important, le cépage étant sensible à l’excès de chaleur. Cono Sur produit beaucoup de vins de Pinot Noir bas de gamme dont les fruits viennent encore de la chaude vallée centrale. C’est un des plus grands producteurs de vins de ce cépage au monde en terme de volume. Heureusement, les cuvées supérieures de la maison, comme ce 20 Barrels et la cuvée phare de la maison, appelée “Occio”, proviennent de vignobles plantés dans la fraîche vallée de Casablanca. Les raisins pour ce vin viennent à 80% du vignoble El Triangulo appartenant à Concha y Toro qui y produit son Sauvignon Blanc de la gamme Terrunyo et sa top cuvée de Chardonnay, appelée Amelia.

La robe est d’une belle teinte rubis passablement translucide. Le nez est volubile et exprime des arômes variés de fruits rouges typiques du cépage, auxquels s’intègrent de fines notes d’herbes aromatiques et d’épices douces, ainsi qu’un léger aspect terreux et une subtile touche florale. Beau nez de Pinot montrant une bonne complexité, et où le fruit tient le premier rôle, avec un aspect boisé très discret. En bouche, on retrouve un vin équilibré, souple et tendu comme la corde d’un arc, propulsant un fruité doux et intense. La qualité de la matière est palpable en milieu de bouche, avec ce mélange de concentration et de légèreté qui fait la marque des bons vins de ce cépage. La texture est lisse et satinée ce qui contribue au charme de l’ensemble. La finale garde la cap, avec toujours ce fruit acidulé intense agrémenté de fines notes épicées se déployant sur une très bonne longueur.

Avec ce vin, on a clairement affaire à un Pinot de grande qualité, avec une belle matière concentrée, une fine texture et une très bonne persistance. Il est toutefois à noter que c’est un autre rouge chilien de climat frais dans lequel l’acidité joue un rôle prépondérant qui marque le style du vin, en donnant au fruité un aspect très vif. Personnellement, j’apprécie cet aspect, mais il pourrait ne pas plaire à tous. Toutefois, comme le vin est encore très jeune, je suis convaincu que ce caractère s’adoucira avec quelques années de garde pour lui permettre de se montrer sous un aspect plus fondu et abordable. Le producteur dit de ce vin qu’il est issu de fruits du Nouveau-Monde vinifiés selon la tradition bourguignonne. Je crois que cette affirmation résume bien l’impression qui se dégage de celui-ci. Il m’est apparu très typique du cépage, et par certains aspects il rappelle la Bourgogne, mais d’un autre côté, la nature un peu douce du fruit, surtout dans sa prime jeunesse actuelle, indique bien son origine Nouveau-Monde. Bien sûr, les puristes pourraient n’y voir que l’aspect Nouveau-Monde, mais moi je pense vraiment que c’est un vin au style hybride qui tient des deux mondes. Je pense aussi que c’est un vin qui sera apprivoisé par plus de temps en bouteille, même s’il s’agit déjà d’une expérience intéressante pour qui n’est pas intégriste dans ses préférences stylistiques. Ce vin a été choisi en janvier 2010 comme gagnant dans la catégorie Pinot Noir par un jury canadien, lors des “Wines of Chile Awards”, jury qui comptait dans ses rangs les québécois Bill Zacharkiw et Nick Hamilton. Les résultats de ce type de concours sont toujours un peu aléatoires, même avec de très bons dégustateurs, mais un an plus tard, en dégustant ce vin, je me disais que nos experts n’avaient assurément pas fait un mauvais choix. On dit souvent que l’échelle RQP pour le Pinot Noir est différente, qu’il faut débourser plus pour obtenir le même niveau de qualité. En ce sens, pour les 28$ demandés par la SAQ, ce vin représente à mon avis un très bon RQP.

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samedi 26 février 2011

La levure génétiquement modifiée canadienne

Un sujet qui a fait parler cette semaine sur la petite planète-vin, alors qu’on apprenait qu’une levure OGM canadienne, appelée ML-01, tentait de percer le marché européen, alors qu’elle est déjà autorisée aux États-Unis depuis 2003, et depuis 2006 au Canada. Ma première réaction à la lecture de cette nouvelle a été de me dire que ça ne servait à rien de se rendre jusqu’à l’utilisation d’une levure OGM, car il existe déjà une solution naturelle si on veut éviter le risque des amines biogènes, soit la co-inoculation avec levures et bactéries lactiques sélectionnées. Bien sûr, certains sont même contre l’usage de micro-organismes sélectionnés, mais là on tombe carrément dans l’idéologie. Ceux qui rejettent cette approche de sélection devraient s’assurer de ne pas boire de vins issus de clones de cépages ou de vignes greffées sur des portes greffes sélectionnés.

Qu’on le veuille ou non, l’élaboration du vin est basée sur la maîtrise d’organismes vivants par l’homme, que ce soit au vignoble ou au chai. Le bon vigneron ne laissera pas ses vignes pousser au gré de la nature. La plantation même d’un vignoble est le premier acte de contrôle humain. Ensuite, on parle de conduite de la vigne. Ce qui évoque clairement le contrôle humain sur la croissance de celle-ci. Alors il faut arrêter de percevoir le vin comme un produit naturel. Le vin est issu du génie humain par le contrôle de matériel végétal et microbiologique. Le vin est en quelque sorte la première manifestation de ce qu’on appelle aujourd’hui la biotechnologie. Ceci dit, ça ne veut pas dire que tout devrait être permis lors de son élaboration. Il y a selon moi des limites à ne pas franchir, et l’utilisation de levures OGM en est clairement une. Pas parce que le vin issu de l’usage d’une telle levure pourrait être dangereux. Non, simplement parce modifier le vivant n’est pas un acte anodin, surtout quand ce n’est pas nécessaire.

Ce ne sont donc pas les propriétés de cette levure qui m’embêtent. La modification de celle-ci est mineure. On lui a juste ajouté un gène codant pour l’expression d’une enzyme permettant de dégrader l’acide malique en acide lactique. Il n’y aura pas de poison produit par cette levure à cause de cela, et de l’autre côté, il est bien possible que la bio-synthèse de produits dangereux soit évitée par son usage. Mais encore une fois, il existe des alternatives naturelles atteignant le même but. Alors pourquoi modifier des organismes vivants si cela n’est pas absolument nécessaire? Dans ce contexte, mon opposition aux OGM va bien au-delà de cette simple levure et relève plutôt d’un sage principe de précaution. D’un autre côté, il est clair que l’action des bactéries lactiques post-FA a pour effet d’augmenter la concentration de plusieurs molécules, dont certaines comme les amines biogènes sont non désirables, autant pour des question de santé que pour des questions organoleptiques. Avez-vous vraiment le goût d’avoir de la cadavérine et de la putrescine dans votre verre de vin? Juste les noms vous donnent une idée de l’arôme. Bien sûr, pour ce qui est de l’impact aromatique ou de la toxicité, tout est une question de concentration. Sinon le contenu d’un verre de vin pourrait être comparé à un magasin de chimie, tellement le vin contient de produits toxiques si ingérés à fortes doses. Il est donc très facile de faire de la démagogie en nommant des molécules simplement présentes dans le vin, mais à de très faibles concentrations. Il faut donc faire attention à la façon dont on présente les choses. Pour moi, il est clair que l’opposition aux OGM devrait être motivée par un souci de protection des écosystèmes à long terme, bien plus que pour des raisons de sécurité alimentaire à court terme. En cette matière, la nature laissée à elle-même est à mon sens plus dangereuse que la fameuse levure ML-01.


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vendredi 25 février 2011

PINOT NOIR, TOBIANO, 2008, CASABLANCA, KINGSTON FAMILY VINEYARD



L’offre de bons vins chiliens, lentement mais sûrement, va en s’améliorant à la SAQ et en importation privée. Des vins de nouvelles régions et de cépages différents sont maintenant disponibles. Le Chili ne se résume plus aux vins de cépages bordelais issus de la vallée centrale. Ainsi donc, j’entame avec ce Tobiano de Kingnston Family un petit spécial sur le Pinot Noir chilien. Un cépage particulier, difficile à maîtriser, qu’un nombre croissant de producteurs chiliens installés sur des terroirs frais tentent d’apprivoiser. Pour ce faire on engage parfois des consultants étrangers, comme le californien Byron Kosuge dans le cas de Kingston, ou bien des bourguignons comme Pascal Marchand chez Veranda, ou bien Martin Prieur chez Cono Sur. Ceci sans compter les spécialistes étrangers du Pinot qui se lancent directement, comme Nicolas Potel, ou bien Kevin Harvey de Rhys Vineyards, ou encore Louis-Michel Ligier Belair qui tous développent actuellement de nouveaux projet dans la fraîche vallée de Bio Bio. Bien sûr, le Pinot Noir est un cépage qui est encore très loin d’avoir atteint son plein potentiel au Chili, mais de plus en plus de vins intéressants, souvent issus de très jeunes vignes, font leur apparition à chaque année sur le marché. Selon ce que j’ai pu goûté jusqu’à maintenant, j’ai confiance que le Pinot Noir pourra suivre les traces déjà remarquables de la Syrah au Chili. Toutefois, le processus sera plus lent, car le Pinot n’a pas la versatilité de la Syrah. La courbe d’apprentissage sera moins marquée, mais pourrait atteindre le même niveau de qualité, à terme. Donc, pour entamer cette petite revue, je commence avec un deuxième vin de Kingston Family. Deuxième parce qu’il suit sur ce blogue la superbe Syrah, Bayo Oscuro, du même producteur, et deuxième car c’est le rang qu’il occupe dans la hiérarchie des Pinots de Kingston Family derrière la top cuvée appelée Alazan.

La robe est d’une jolie teinte rubis assez translucide. Le nez est très discret à l’ouverture, et gagne un peu en expressivité quelques heures plus tard. À ce moment on peut y distinguer des arômes de fruits rouges, particulièrement la fraise, auxquels s’entremêlent des notes épicées rappelant un peu la cannelle, ainsi qu’un aspect terreux particulier. Heureusement, la bouche se montre plus volubile, et ce dès le départ, bien qu’elle gagne quelque peu en harmonie avec les heures d’exposition à l’air. Ce qui frappe dès le départ avec ce vin c’est la présence soyeuse et lisse, qui avec le gras sous-jacent, donne presqu’une impression d’onctuosité à l’ensemble. De manière un peu paradoxale, cet aspect tactile aguichant sert de support pour révéler un vin beaucoup plus sérieux au niveau des saveurs. Celles-ci reflètent bien les arômes perçus au nez, mais en terme gustatif, malgré une bonne intensité, il se dégage une impression de quasi austérité. Je dis quasi, car austérité est un mot trop fort, mais disons qu’on est loin du Pinot Noir du Nouveau-Monde au profil doux et très exubérant. Ce Tobiano est à la fois caressant et réservé. La combinaison de ces deux caractères procure un effet de contraste intéressant qui demande à être apprivoisé au fil de la dégustation. La finale poursuit dans l’effet de contraste que je viens d’évoquer, offrant du même coup une bonne persistance des saveurs.

Ce Pinot Noir a laissé un peu perplexe le dégustateur que je suis. Un vin comme assis entre deux chaises, qui s’offre et se refuse un peu dans le même mouvement. Un vin ambivalent qui m’est apparu à la fois sensuel et cérébral. Quand même, si je dois porter un verdict, je ne peux que reconnaître la qualité d’ensemble, et laisser la porte ouverte pour le futur, chose qu’on refuse trop souvent à des vins de ce prix et de cette origine. Dans son état actuel, à 27.40$, le vin n’est pas une grande aubaine, compte tenu de son origine. Il existe des Pinots chiliens de qualité similaire offert à un meilleur prix. Toutefois, dans le contexte de l’offre mondiale en vins de Pinot Noir, ce vin me semble tout à fait compétitif. C’est un vin à essayer si on veut mieux connaître ce que j’appelle le Nouveau-Chili. C’est aussi une façon de se familiariser avec un producteur élite comme Kingston Family. Aussi, je pense qu’il y a de bonne chance pour que ce vin se présente mieux après deux ou trois ans de garde. J’avais vécu cette expérience avec le Pinot Noir, Oda, 2005, Bio Bio de Veranda. J’avais obtenu deux bouteilles de ce vin par le courrier vinicole. La première m’avait laissé un peu sur ma soif, même si la qualité était évidente, alors que la deuxième, ouverte deux ans plus tard, ne laissait pas de doute et faisait regretter que ce soit la dernière. Je vais donner cette chance à ce très jeune Tobiano.
 
 
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mardi 22 février 2011

DONA BERNARDA, 2002, COLCHAGUA, LUIS FELIPE EDWARDS



Je poursuis mon léger coup de sonde dans mes réserves de rouges chiliens ayant maintenant quelques années de garde dans le corps. Je reste dans la vallée de Colchagua, mais cette fois avec un vin d’assemblage de Cabernet Sauvignon (65%), Petit Verdot (30%) et Cabernet Franc (5%)

La robe ne montre aucune trace d’évolution, sombre et impénétrable. Le nez emboîte le pas du refus des signes de l’âge, en exhibant de doux arômes de fruits noirs intenses et profonds, amalgamés à des notes de réglisse et de pâtisserie, complétés par une touche d’herbes aromatique et un très léger caractère de poivron rouge. La bouche est elle aussi marqué au sceau de la jouvence, avec une attaque vigoureuse qui déploie un fruité riche et vif, bien supporté par une solide base d’amertume, et auquel s’entremêlent des notes doucement épicées. Aucune saveur du profil gustatif ne peut être associée à un signe d’évolution. Le vin se montre sous un jour de jeunesse apparemment inoxydable. Cela se confirme en milieu de bouche où la matière fruitée est dense et intense, avec un fort niveau de concentration et un volume contenu. La présence tannique est solide, avec un léger grain qui apporte un aspect de virilité qui contraste avec la relative douceur du fruit. La finale est très intense, tout d’un bloc et manquant pour le moment d’harmonie, mais montre une longueur franchement impressionnante.

Ce vin donne raison à tous ceux qui pensent que le vin chilien ne peut pas vieillir! Car c’est bien ce que ce vin démontre à ce stade, soit un refus apparent de vieillir, tellement son profil de jeunesse semble inaltéré. En ce sens, le vin m’est apparu encore très fougueux et assez loin d’un équilibre idéal, toutefois, j’ai été impressionné par sa concentration et sa très bonne persistance en bouche. J’ai relu mes notes de dégustation de 2006 sur ce vin, et celui-ci m’est apparu pas mal plus sauvage et viril qu’alors, avec un profil un peu baroque. Un vin impressionnant en un sens, à cause de l’intensité, de la concentration et de la persistance en finale, mais manquant pour le moment de fini. Il faut dire qu’au mieux on voit les rouges chiliens de bon niveau, comme des vins de moyenne garde. Toutefois, depuis une dizaine d’années, les cuvées plus ambitieuses se sont multipliées. Il y aura sûrement des succès et des déceptions parmi ces vins. Mais à goûter un vin comme ce Dona Bernarda, il me semble que la fenêtre de garde de ces vins sera beaucoup plus étendue et que parler de 25 ans n’aura dans bien des cas rien de farfelu. Il me semble que ce Dona Bernarda a ce qu’il faut pour bien évoluer jusque vers les 2025. Non! Je ne suis pas Jay Miller!!!! Quoi qu’il en soit, il m’en reste trois bouteilles et je n’ouvrirai pas la prochaine avant de nombreuses années. Le millésime 2007 est actuellement offert à la SAQ. Je n'ai pas encore goûté le vin, mais le producteur a amélioré le contraste de l'étiquette, ce qui donne à la fameuse Dona Bernarda un air moins fantomatique.


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samedi 19 février 2011

MERLOT, CUVÉE ALEXANDRE, 2001, APALTA COLCHAGUA, CASA LAPOSTOLLE



La garde du vin comporte plusieurs plaisirs distincts. Le premier étant le moment de sélectionner et d’acheter des vins dans ce but précis. Le vin ainsi choisi devient alors un peu le nôtre, surtout pour des vins sans grande réputation à cet égard. Ce type de choix sortant un peu des sentiers battus implique une certaine dose de confiance, confiance dans le vin bien sûr, mais surtout, confiance en soi en tant qu’amateur. Ainsi donc, plusieurs années plus tard, lorsqu’on décide enfin d’ouvrir un de nos poulains, il y a une légère fébrilité. On se demande si on aura eu tort ou raison, si notre confiance d’alors était justifiée, ou si au fond ce n’était là que de la prétention de notre part. Bien sûr, cette évaluation de soi-même comme sélectionneur ne se joue pas sur une seule bouteille, car on sait que certains de nos choix étaient plus audacieux avec certains vins. Des vins que l’on a décidé de garder simplement pour l’expérience, en se croisant un peu les doigts. Ce faisant, on sait donc d’avance que certains de nos choix vont nous décevoir. Mais quand même, à chaque bouteille qu’on ouvre on espère quand même avoir bien misé. On espère aussi que notre patience aura été récompensée. Quand tel est le cas, le plaisir est double, avec, bien sûr, le plaisir sensuel du vin lui-même, auquel s’ajoute un léger sentiment de réussite. Comme chaque amateur le moindrement sérieux le sait, l’ego est omniprésent dans le domaine du vin. Tellement que parfois c’est à se demander si le vin ne sert pas d’abord à flatter celui-ci, avant de flatter le palais.

Personnellement, je suis très loin d’avoir une cave complète et à maturité. Celle-ci est très orientée sur les rouges sud-américains, et je commence à avoir un certain choix dans le vins de cépages bordelais ayant environ 10 ans d’âge. C’est d’ailleurs en partie ce qui a motivé ma participation récente à une dégustation de bordeaux réputés du millésime 2000. Je voulais renouveler mes repères face à des vins de référence en la matière, d’un âge similaire. L’Amérique du Sud n’est pas Bordeaux, bien sûr, mais pour ne pas rompre totalement le fil, j’ai décidé d’ouvrir un Merlot chilien élaboré sous les conseils de Michel Rolland. Compte tenu de la différence d’hémisphères, ce vin du millésime 2001 n’est que six mois plus jeune par rapport à ses contreparties bordelaises du réputé millésime 2000.

La robe est d’une teinte grenat encore bien soutenue qui ne se laisse que très faiblement traverser par la lumière. Le nez ne montre pas d’arômes tertiaires, mais plutôt un profil que je qualifierais de secondaire où on retrouve des arômes fruités et boisés/épicés encore bien vigoureux, mais dont le caractère a été altéré par le temps passé en bouteille. À cela s’ajoute un léger aspect terreux, ainsi que de fines notes évoquant les feuilles de laurier et une pointe de torréfaction. La bouche pour sa part est d’un très bel équilibre, ample et souple, mais avec ce qu’il faut d’acidité pour maintenir un bon tonus. Les saveurs sont généreuses et intenses, reflétant bien ce qui était perçu au nez, et supportées par bonne base d’amertume. Le vin a beaucoup de présence en milieu de bouche, et révèle toute la richesse de sa matière. La trame tannique est encore bien présente, mais de texture veloutée. Pour conclure, les saveurs se fondent sur un sursaut d’intensité et persistent un bon moment avant de s’éteindre sur des rémanences de chocolat noir.

Ce vin n’est plus jeune, mais il ne montre pas encore de réels signes de vieillesse. On pourrait dire qu’il est actuellement dans la force de l’âge, à la fois vigoureux et affiné par le temps. Le millésime 1997 de ce vin était sorti gagnant d’une confrontation à l’aveugle Bordeaux-Chili à laquelle j’avais participé il y a quelques années. Je n’ai donc pas beaucoup de mérite à avoir mis des bouteilles de ce 2001 de côté. J’avais déjà de bons indices sur l’excellent potentiel de garde de ce vin. Heureusement, cette bouteille confirme la qualité de cette cuvée qui avec l’âge perd de sa typicité chilienne pour se recentrer sur un profil général proche de ce que donne des Bordeaux du même âge. La seule chose qui m’embête avec ce vin, est que son prix au Canada (35$) est environ deux fois plus élevé qu’aux États-Unis. Ce qui est excessif si on compare avec d’autres cuvées chilienne de ce niveau. Ceci dit, quand je goûte ce qu’il donne après sept ans de garde, il est clair que même à 35$ ça demeure un superbe achat. C’est juste que le Chili peut offrir encore mieux en terme de RQP pour ce niveau de qualité. C’est dire comment ce pays peut offrir de la valeur à l’amateur, et dix ans plus tard, le Chili est à mon sens encore plus une destination de choix pour qui veut se partir une cave remplie de vins de prix abordables, ou pour qui veut donner de la profondeur, sans se ruiner, à une cave plus variée et prestigieuse.


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vendredi 18 février 2011

Bordeaux, la hiérarchie, Michel Rolland et l’oenologie moderne... (Part II)

C'est très drôle ces temps-ci de lire ici et là sur la toile les échanges enflammés et les accusations à peine voilées de fraude contre la Grand Jury Européen et particulièrement sa dégustation de GCC du millésime 2005 ayant eu comme gagnant et commanditaire le Château Lascombes.

Ce résultat n'est pas le plus surprenant livré par le GJE, dans ce cas, seulement les 1er et 2ième s'affrontaient, et malgré tout certains rechignent. D'habitude on nous sert l'excuse facile du Merlot, mais cette fois ce ne sont que des rives gauche. Comme porte de sortie on n'a trouvé rien de mieux que de remettre en doute la probité du GJE. C'est incroyable jusqu'où certains peuvent aller pour protéger l'intégrité d'une hiérarchie obsolète. Le GJE n'est pas parfait, et ce genre de dégustations comparatives à l'aveugle amenera toujours son lot de surprises. Il semble si difficile de reconnaître l'imprécision et la variabilité des sens olfactif et gustatif. De plus, aujourd'hui à Bordeaux, quand on y met les moyens sur de bons terroirs, on fait du bon vin. Néanmoins, ce pauvre Rolland sert encore de bouc-émissaire facile pour une clique d'idéologues ne voulant pas reconnaître l'évidence. À ce niveau, en l'absence des étiquettes, il n'y a plus de hiérarchie qui tienne. Ce classement figé dans le temps n'est aujourd'hui rien d'autre qu'un très utile outil de marketing. Un outil génial inventé un peu par inadvertance il y a maintenant plus de 155 ans. Si des gens veulent payer la forte prime au prestige demandée par les 1er GCC, tant mieux pour eux. Ils obtiendront ce qu'ils cherchent, du prestige d'abord et du bon vin ensuite.

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mercredi 16 février 2011

SAQ et promo vins 90+ de James Suckling

J’ai reçu un courriel de la SAQ cette semaine pour annoncer une promotion où l’ancien critique du Wine Spectator est en vedette. Malgré que les deux seuls vins chiliens, parmi un lot de 55 vins offerts, soient cotés parmi les meilleurs RQP de la sélection de M. Suckling. Je trouve regrettable de voir la SAQ se lancer dans ce genre de promo, car cela donne de la crédibilité au système de notation précis sur 100, alors que ce système n’est pas crédible. Aussi, cela donne de la légitimité au phénomène du gourou qui pourrait du haut de sa science infuse dire à l’ensemble des consommateurs ce qui est bon à l’aide d’un simple chiffre dépassant la limite arbitraire de 89 sur une échelle floue. J’aimerais savoir ce qui distingue un vin coté 90 d’un vin récoltant un vulgaire 89. Cette promo laisse à penser au consommateur québécois que ce système de catégorisation précis des vins est valide, alors que dans la réalité il n’en est rien. Ce qui m’inquiète le plus dans ce type d’exercice, c’est que la SAQ en viennent de plus en plus à n’offrir que des vins bien cotés par les gourous du genre de M. Suckling. Surtout pour des vins de pays moins renommés où la note compense souvent pour le manque de prestige de l’étiquette. Il serait très déplorable que d’excellents vins n’ayant pas reçu la fameuse note de 90+, par un pseudo-omniscient quelconque, ne puissent trouver pour cette raison le chemin des tablettes de la SAQ, et que l’on développe chez les consommateurs plus crédules ou moins avisés, l’idée que ces vins sans cotes reluisantes n’en valent nécéssairement pas la peine. Si tel était le cas, on passerait à côté de nombreux vins de grande qualité et éminemment dignes d’intérêt.

http://www.fouduvin.ca/viewtopic.php?f=29&t=17601

http://www.montrealgazette.com/life/food-wine/promotion+misses+home+grown+expertise/4341143/story.html


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mardi 15 février 2011

CABERNET SAUVIGNON, LAS MERCEDES, RESERVA ESPECIAL, 2007, MAULE, VINA J. BOUCHON




On pourrait comparer la vallée de Maule au Chili à la région du Languedoc en France. C’est une région où on a longtemps fait pisser la vigne pour produire du vin de table bas de gamme. Les deux régions partagent un cépage commun, le Carignan, qui a longtemps eu très mauvaise réputation, mais qu’on redécouvre aujourd’hui et dont on tire des vins originaux d’une qualité étonnante. Les deux régions se situent au bas de l’échelle du prestige dans leurs pays respectifs, l’échelle chilienne étant beaucoup plus restreinte à cet égard. Néanmoins, cette situation fait de Maule une des régions à privilégier pour qui recherche originalité et qualité à bon prix. Les deux points distinctifs principaux de cette région sont le vaste patrimoine de très vieilles vignes, et le fait qu’une partie de la vallée reçoit suffisamment de précipitations pour éviter le recours à l’irrigation. Vina J. Bouchon est un autre producteur chilien ayant des connexions avec la France. L’ancêtre de la famille a immigré du bordelais vers le Chili à la fin de 19 ième siècle à cause de la crise du phylloxéra, et l’oenologue conseil de la maison est un autre immigré français d’origine bordelaise, Patrick Vallette, dont la famille était jadis propriétaire du Château Pavie. M. Valette est aujourd’hui un consultant renommé au Chili. Il travaille, entre autres, pour le Clos Quebrada de Macul dans Maipo et Neyen de Apalta dans Colchagua. Pour ce qui est de cette cuvée spéciale Las Mercedes, il s’agit d’un vin issu à 100% du cépage Cabernet Sauvignon récolté manuellement dans deux vignobles distincts. Le vin est élevé pendant un an en barriques de chêne français de premier et deuxième usage. Il titre à 14% d’alcool pour un pH de 3.59 et 2.43 g/L de sucres résiduels.

La robe exhibe une couleur foncée très intense et pratiquement opaque. Le nez montre un heureux mélange d’arômes de fruits noirs, de terre humide, de café et d’herbes aromatiques, complétés par un brin d’épices douces et de légères notes florales. Beau nez complexe et au profil particulier qui le distingue de ses contreparties du nord de la vallée centrale. On sent dans ce vin de Cabernet un terroir différent, même si le cépage est le même. En bouche, l’attaque est bien ferme et le vin tendu par une acidité vivifiante qui donne du nerf à l’ensemble, tout en rehaussant l’intensité des saveurs fruitées. En milieu de bouche, le vin est à la fois compact et concentré. Les saveurs semblent focalisées, alliant un très beau fruit noir à une amertume marquée de chocolat noir. Ces différents aspects, combinés à une texture tannique fine et resserrée, donnent au vin un caractère passablement sérieux. La finale est percutante, avec les saveurs qui gagnent encore en intensité, et une persistance de très bon niveau.

Pour aimer ce vin, il faut apprécier les rouges avec une bonne dose d’acidité. C’est une caractéristique assez rare chez les vins rouges de la vallée centrale chilienne. Il faut dire que dans ce cas-ci, on se situe proche de l’extrémité côtière sud-ouest de cette vaste vallée. Une zone avec de la pluie plus fréquente où les conditions de culture sont assez différentes, avec très peu ou pas du tout d’irrigation, et cela transparaît dans les caractéristiques structurelle et aromatique du vin. En ce sens, ce Las Mercedes me semble un réel vin de terroir. Mais le plus important, c’est que c’est un très bon vin. Compte tenu de sa qualité, il est difficile de croire qu’il se vend pour seulement 15$. Selon moi, ce vin rivalise avec de bons exemples de Cabernets chiliens vendus entre 20$ et 25$, et je vous passe les comparaisons avec des régions plus réputées du reste du monde. Si on ajoute à cela son caractère distinctif comme une valeur supplémentaire, il est clair qu’il s’agit d’une aubaine. Une preuve de plus que le Chili peut maintenant créer de la diversité avec des vins d’un même cépage, en se basant sur sa variété de terroirs différents. La Syrah est le meilleur exemple à cet égard, avec des styles bien différenciés selon les terroirs. Le Cabernet Sauvignon n’est pas aussi versatile à cause qu’il s’accommode plus mal des terroirs plus frais. Mais dans ce cas-ci, on semble être avec succès autour de la limite inférieur où maturité du fruit et fraîcheur se conjuguent avec bonheur. Probablement que l’absence ou le très faible niveau d’irrigation a aussi un rôle à jouer dans le caractère distinctif du vin. Le vin phare de la maison, la cuvée Mingre disponible en I.P. au Québec (36$), a obtenu le titre de meilleur assemblage rouge lors des derniers “Wines of Chile Awards” devant des vins de cette catégorie bien plus réputés et beaucoup plus chers, tels Clos Apalta de Casa Lapostolle ou encore Triple C de Santa Rita.


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vendredi 11 février 2011

RIESLING, VISION, 2010, BIO BIO, VINA CONO SUR


L’histoire de ce vin est intéressante, et par plusieurs aspects indicative de la mentalité de ce que j’appelle l’ancien Chili. Une mentalité qui a longtemps ralenti la progression de ce pays vers des vins de haut niveau qualitatif. Ce vin est issu du vignoble Quitralman planté en 1986 par la famille Guilisasti, actionnaire principal du géant Concha y Toro, près de la ville de Mulchen sur les rives de la rivière Bio Bio, dans une des régions les plus méridionales et fraîches du Chili. Ces vignes de Riesling avaient alors été plantées dans le but d’en tirer de hauts rendements pour produire du vin mousseux. Ce n’est qu’en 2002, que Adolfo Huratado, oenologue en chef chez Cono Sur, une filiale de Concha y Toro, a décidé de réaliser le plein potentiel de ces vignes pour produire du vin tranquille de haute qualité. Pour ce faire il a coupé les rendements des deux tiers, de 75 hl/ha pour les ramener à 25 hl/ha. Cela a permis dès le départ de produire des vins d’une qualité étonnante. Depuis, l’expérience aidant, Hurtado a raffiné son approche. Ce qui permet d’être optimiste pour cette cuvée 2009. Le vin est issu de raisins vendangés manuellement et élaboré entièrement en inox. Le style est demi-sec avec 9.8 grammes par litre de sucres résiduels, pour un vif pH de 3.12 et un titre alcoolique de 13.4%.

La robe est de teinte jaune aux légers reflets verdâtres. Le nez est d’intensité modérée et dégage des arômes fruités de lime et de poire, complétés par des notes florales et miellées et par quelque chose rappelant les aiguilles de conifère. Un nez bien agréable, typique du cépage, avec une belle qualité d’arômes, même s’il n’est pas le plus complexe. En bouche, d’entrée la richesse de la matière donne à penser qu’on a affaire à un vin beaucoup plus cher. C’est équilibré, alliant acidité vive, douceur, gras et intensité des saveurs. L’aspect gustatif est un juste reflet de ce qui était perçu du côté olfactif. Le milieu de bouche permet de s’étonner encore de la qualité de la matière et de son fort niveau de concentration. Le vin a du volume et remplit bien la bouche, avec une acidité qui est toujours bien présente pour maintenir l’équilibre, en apportant ce qu’il faut de tension à l’ensemble, ce qui permet d'éviter toute impression de lourdeur, même lorsque le vin se réchauffe dans le verre. La finale ne déçoit pas sous le signe de l’harmonie et de la longueur avec une très légère pointe d'amertume.

J’ai fait du Chili mon pays vinicole de prédilection d’abord et avant tout pour les vins de très forts RQP qu’on peut facilement y trouver quand on sait choisir. Et bien malgré cela, sur cet aspect, ce pays arrive encore à me surprendre. Ce Riesling de Cono Sur est carrément renversant de qualité pour le prix qu’on en demande. Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un candidat de premier ordre au titre de meilleur vin blanc de 15$ au monde. En dégustant ce vin, je comprenais parfaitement pourquoi la revue Decanter a décerné au millésime 2009 de ce vin le titre de meilleur Riesling sous la barre des 10 livres. Je comprenais aussi pourquoi un chroniqueur crédible comme Tim Atkins classait le Riesling, Reserva, 2010, d'une gamme inférieure, parmi les meilleurs blancs qu’il avait goûtés lors de son récent voyage dans ce pays. Bien sûr, pour aimer ce vin il faut aimer le Riesling, et il faut l’aimer avec un peu de sucres résiduels. Mais dans le cas de ce vin l’acidité vive du vin contribue à garder cet aspect légèrement sucré sous contrôle. Mais au-delà des préférences stylistiques possibles, la qualité du vin est manifeste. Ce vin pourrait facilement se vendre pour le double du prix s’il était embouteillé sous une étiquette plus prestigieuse. Je sais que je suis redondant avec ce genre d’affirmation, mais j’en suis totalement convaincu et c’est pourquoi le Chili représente un pays vinicole si spécial à mes yeux, ou à mes papilles devrais-je dire. Une façon de bien boire à une fraction du prix pour peu qu’on soit prêt à laisser l’aspect prestige de côté. C’est vrai, le mot Chili sur une étiquette n’est pas prestigieux. Dans le cas de ce Riesling, la majorité des acheteurs potentiels n’auront aucune idée de ce qu’est la région de Bio Bio. Mais le contenu de la bouteille est à mon sens au-dessus de ces considérations. Le vin parle pour lui-même en autant qu’on lui prête une oreille neutre et attentive. En terminant la bouteille de cet excellent vin, une chose m’apparaît clairement, c’est que ce pays possède un potentiel incroyable de qualité et de diversité, et qu’il est sur la voie rapide vers le statut de grand pays vinicole. Ce vin issu d’un vignoble anachronique porte bien son nom, et permet de voir où le Chili pourra être dans 10 ans, pour peu qu’on lui en donne la chance en achetant de telles aubaines aujourd’hui. Le potentiel pour le vin blanc de haute qualité est énorme au Chili, car les terroirs frais aux sols variés sont là. Ce potentiel ne fait que commencé à se révéler, toutefois pour que ce potentiel se réalise pleinement, le marché devra suivre. Ce vin n'est malheureusement pas offert à la SAQ, mais on y offre le Viognier de la même gamme qui vaut aussi le détour. J'en parlerai bientôt sur ce blogue.



2010 Cono Sur Reserva Riesling, Bio Bio
There’s a lot of fuss (some of it justified) about the Pinot Noirs from this large Chilean winery, but its cool climate Rieslings are just as exciting in my view. This is just off dry and tastes like a cross between Rieslings from Alsace and Austria, with a hint of bitter “phenolics” and lemon and lime fruit.
91 points

http://blog.timatkin.com/towards-a-new-chile-part-two/

http://www.decanter.com/dwwa/2010/dwwa_search.php?qsearch=aiaw


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mardi 8 février 2011

MALBEC, ESTATE, 2008, CALCHAQUI, BODEGA COLOMÉ



Petit retour vers un pays que j’ai quelque peu délaissé au cours des deux dernières années. La raison pour laquelle je m’intéresse moins aux vins de ce pays, c’est qu’en général, malgré une qualité certaine, je trouve qu’ils manquent d’identité. La production argentine est trop centrée sur Mendoza, le Malbec et le Torrontès. Un peu comme si le Chili se résumait à Maipo, Carmenère et Sauvignon Blanc. Je sais que ce que j’évoque est une caricature, mais il reste que la diversité de l’offre argentine, tant au niveau des cépages que de l’origine est trop concentrée. Un peu comme ses vins qui font rarement dans la dentelle. Ceci dit, si vous êtes intéressés par des vins qui ont une identité, une origine particulière, et qui en plus cadrent avec la courant que j’appelle le “vin idéologique”. Ce Malbec de Bodegas Colomé semble le candidat tout trouvé. Il est issu pour 20% de raisins venant de vignes de 60 à 150 ans d’âge, cultivées selon les préceptes de la biodynamie dans les vignobles les plus élevés du monde, plantés à des altitudes variant de 5,500 à 8,500 pieds. Personnellement, malgré que ce soit un autre Malbec argentin, c’est ce profil particulier qui m’a donné l’envie de l’essayer. Toutefois, il y a un problème pour les mondovinistes de ce monde qui auraient pu être attirés par ce vin. C’est que voyez-vous, le propriétaire des lieux est le milliardaire suisse Donald Hess qui possède aussi The Hess Collection, Sequana et Artezin en Californie, Brancaia en Toscane, Peter Lehman en Australie et Glen Carlou en Afrique du Sud. Nous somme donc loin du vin d’artisan local, mais plutôt proche d’un vin mondialisé. Un vin intégrant des principes en apparence opposés pour les idéologues de la bouteille. Ceci dit, est-il pour autant moins bon ou moins intéressant pour autant? Pardonnez-moi d’être politiquement incorrect, mais j’aurais tendance à croire qu’il a des chances d’être meilleur. Il est clair que M. Hess avec toutes ses propriétés possède une masse critique et le savoir-faire qui vient avec et que ce savoir-faire peut se transmettre. Pour preuve, l’oenologue en chef chez Colomé est Randle Johnson qui travaille aussi pour Artezin et The Hess Collection en Californie. Mais au-delà du savoir-faire, il y a l’intention. La devise des vins Hess Family est; “Terroir Wines Crafted On 4 Continents”. Finalement, la question est de savoir si un tel producteur mondialisé peut refléter le terroir dans les vins qu’il produit? Le terroir de Calchaqui est si unique, que les points de références sont quasi inexistants pour répondre à cette question. À tout le moins, voyons voir si le vin est bon.

La robe est de teinte sombre aux reflets violacés. Le nez est étonnamment mesuré, et dégage avec justesse des arômes de bleuets et de mûres, auxquels s’ajoutent des notes florales rappelant la lavande, de la muscade, ainsi qu’un léger aspect torréfié. Complexité limitée à ce stade, mais qualité et plaisir indéniables. En bouche, l’attaque est pleine et juteuse, avec une bonne acidité et un doux fruité éclatant, mâtiné de notes boisées bien dosées. L’ensemble est à la fois ferme et souple, soutenu par un trait d’amertume. Le milieu de bouche réitère la bonne présence du vin, sans que celui-ci ne semble pour autant s’imposer. La trame tannique est veloutée, sans aspérités aucunes. Un vin consistant qui glisse sans efforts vers une finale qui confirme, sous le signe de l’intensité, sur une persistance de bon niveau.

On peut bien aimer les principes plus que le vin, mais quand on s’en tient au vin dans le verre et qu’au surplus on a décidé de ne pas bouder son plaisir inutilement. On ne peut qu’être ravi par ce Malbec de Colomé. C’est un vin de très belle qualité, qui a tout pour plaire. Le vin est généreux mais équilibré, les 15% d’alcool passent sans problèmes, et sa jeunesse n’est pas un obstacle puisqu’il se livre déjà sous un jour très séduisant. C’est pour moi un vin du Nouveau-Monde dans le meilleur sens du terme, et offert à un prix très raisonnable (25$), compte tenu de son niveau qualitatif. Il m’est aussi apparu très fidèle à l’idée que je me fais de ce cépage en territoire argentin. L’origine argentine m’est donc apparue limpide. Toutefois, je n’y ai pas noté de particularité pouvant le démarquer clairement d’un Malbec de Mendoza du même niveau et du même style. Peut-être que dans une dégustation comparative directe, un caractère particulier pourrait se révéler plus facilement. Une chose est sûre toutefois, c’est un beau vin et un bon achat.

 
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jeudi 3 février 2011

SYRAH, BAYO OSCURO, 2007, CASABLANCA, KINGSTON FAMILY VINEYARDS


L’histoire de la famille Kingston au Chili est fascinante. Elle remonte au début du vingtième siècle alors que le premier des Kingston, venu du Michigan, s’y est rendu à la recherche de cuivre et d’or. Les rêves miniers ne se sont pas réalisés, mais plusieurs générations de la famille ont été élevées sur la ferme familiale de 7,500 hectares située dans la région de Casablanca. Malgré ce fait, le lien américain n’a jamais été rompu et ils ont pu préserver leur langue et leur culture, plusieurs membres de la famille ayant complété leur éducation dans de grandes universités américaines. C’est en 1994 qu’a germé l’idée de planter un vignoble sur les terres de la ferme familiale et il a fallu attendre le millésime 2003 pour voir embouteillés les premiers vins du domaine élaborés sous la gouverne du “winemaker” californien et partenaire du projet Byron Kosuge, un spécialiste du Pinot Noir. Il faut dire qu’une faible partie des récoltes est vinifiée par Kingston, le gros de la production de raisins est vendue. En 2006, les vins de Kingston ont été produits pour la première fois dans les installations nouvellement construites du domaine. Cette Syrah, Bayo Oscuro, représente le haut de gamme de la maison et seulement 245 caisses ont été produites. Les vignes du domaine sont plantées franches de pied et Byron Kosuge dit qu’avec ce 2007 il a tenté de réduire l’extraction car les millésimes précédents lui semblaient trop concentrés. Il a aussi prolongé de trois mois l’élevage en barriques pour le porter à 15 mois, dans le but de faire évoluer le vin un peu plus rapidement pour le rendre plus approchable en prime jeunesse. Le vin n’est pas filtré ni collé et titre à 14.5% d’alcool.

La robe est sombre bien que très légèrement translucide. Le nez est superbe et typique des bons vins de ce cépage issus de climats frais. Les similarités avec le Rhône nord sont évidentes. La palette olfactive déploie de beaux arômes de fruits rouges et noirs et de poivre noir, auxquels s’ajoutent des notes florales et d’épices douces un peu exotiques. Un léger aspect boisé vient compléter cet ensemble séduisant. En bouche, le vin montre un très bel équilibre, alliant structure ferme, acidité bien dosée et fine texture tannique. Il affiche un spectre de saveurs très intenses d’une superbe qualité, soutenues par une amertume bien calibrée. Le milieu de bouche révèle une jeune Syrah sérieuse, droite et vive, avec une matière dense et concentrée évitant toute lourdeur. Pour conclure, les saveurs gagnent un cran en intensité sur une très bonne allonge aux relents amers de chocolat noir.

À mon avis, et selon ce que j’ai pu goûter à date venant du Chili. Ce Bayo Oscuro est à compter parmi les meilleures rouges de ce pays. Ce vin offre une Syrah à la fois fraîche et sérieuse, concentrée et équilibrée. Bien sûr, le vin ne fait que débuter sa vie, mais celui-ci est déjà très agréable et la matière est là pour laisser entrevoir une évolution harmonieuse sur de nombreuses années. Je grogne souvent contre l’offre très perfectible de vins chiliens de la SAQ, mais cette fois-ci je dis félicitations. C’est avec des vins comme celui-ci que le Chili vinicole arrivera à convaincre ceux qui doutent ou ignorent son potentiel. Si plus d’amateurs goûtent à un vin chilien de cette qualité et de ce style, plus grande sera la demande pour ce type de vins et plus ce pays pourra poursuivre sa progression rapide. De plus, au prix demandé de 35$, compte tenu du haut niveau qualitatif et du style offert. Je considère ce vin comme une véritable aubaine. Il y a peu d’endroits dans le monde qui peuvent produire des vins de Syrah de ce style, encore moins à ce prix. Ici, on est vraiment du côté Syrah des choses. Pour mes lecteurs auxquels j’ai fait goûter la Syrah, Chono, 2007 de la vallée de Elqui, un vin auquel certains ont trouvé des airs de Côte-Rôtie, et bien cette cuvée Bayo Oscuro est dans un style très similaire au plan aromatique, sauf que le vin est plus dense et concentré, avec un apport boisé plus important, même si loin d’être excessif. Si vous avez le goût de découvrir un vin élite du Chili offert à un prix plus que raisonnable. Je ne saurais trop vous recommander d’essayer ce très beau jeune vin. Il y de bonnes chances pour qu’ensuite vous y reveniez.

http://www.fouduvin.ca/viewtopic.php?f=15&t=17575&hilit=bayo


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